lundi 15 décembre 2014

Le bénéfice de discussion prévu aux articles 2221 et 2246 C.c.Q. pour une société en commandite intervient au moment de l'exécution du jugement contre les commandités et non au moment d'entreprendre le recours

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

En août 2010, je vous faisais part d'une décision qui indiquait que pour pouvoir poursuivre les associés dans une société en commandite, il faut d'abord faire valoir l'insuffisance du patrimoine de la société. Or, il semble que ce ne soit plus du bon droit, puisque la Cour d'appel vient de rendre sa décision dans 9171-3990 Québec inc. c. 9086-4752 Québec inc. (2014 QCCA 2258) et elle indique que le bénéfice de discussion de l'associé d'une société en commandite n'intervient qu'au stade de l'exécution du jugement et non à l'étape de l'institution de l'action. Ainsi, rien n'empêche une partie demanderesse de poursuivre simultanément la société en commandite et ses commandités.
 

 
Dans cette affaire, les Appelantes se pourvoient contre un jugement qui a accueilli la requête en irrecevabilité des Intimées. Cette requête faisait valoir que les Intimées, des commanditées dans des sociétés en commandite, ne pouvaient être poursuivre qu'après que les biens des sociétés n'eut fait l'objet de discussion.
 
Les Appelantes font valoir que ce n'est que l'exécution du jugement contre les Intimées - et non l'institution d'un recours - qui ne peut avoir lieu avant la discussion des biens des sociétés en commandite.
 
La juge en chef, l'Honorable Nicole Duval-Hesler, au nom d'un banc unanime, accueille le pourvoi. À ce chapitre, elle indique que le bénéfice de discussion du commandité - i.e. le droit d'exiger que les actifs de la société soient épuisés avant qu'on ne fasse appel à lui pour une dette de la société - n'intervient qu'au stade de l'exécution du jugement. Ainsi, rien n'empêche l'institution d'un recours contre la société et ses commandités:
[23]        Le recours contre le commandité serait donc conditionnel à la démonstration de l'insuffisance des biens de la société en commandite.  
[24]        Avec égards, je suis d'avis que cette position est juridiquement intenable.  
[25]        Premièrement, les articles 2221 et 2246 C.c.Q. se rapportent à l’exécution du paiement et non à la procédure judiciaire. En effet, le bénéfice de la discussion prévu à l'article 2221 C.c.Q. réfère non pas à la « poursuite de l'associé » mais à la « poursuite du paiement ». L’affaire Jetté c. Bélanger est à cet effet : 
[17]      Le Tribunal ne pense pas qu'il faille interpréter le deuxième alinéa de l'article 2221 C.c.Q. comme exigeant une poursuite séparée de la Société, plus la preuve de l'impossibilité d'exécuter le jugement contre la Société, faute de biens, avant d'entamer, dans un deuxième temps, des procédures judiciaires contre les associés pourtant personnellement responsables, dès le départ, des obligations de la Société. Le Tribunal ne peut croire que c'est ce que le législateur a voulu. Cela entraînerait une multiplication de recours pour une même fin, des frais inutiles et des délais préjudiciables.  
[18]      Selon le Tribunal, la restriction, prévue au deuxième alinéa de l'article 2221 C.c.Q., doit s'interpréter comme s'appliquant à l'exécution du jugement ou quant aux mesures d'exécution ou aux poursuites engagées dans l'exécution du jugement pour obtenir le paiement. C'est le sens qu'il faut donner aux mots « poursuivre le paiement » en anglais « proceedings for payment ».            
[26]        Ainsi, le bénéfice de discussion prévu aux articles 2221 et 2246 C.c.Q. intervient au moment de l'exécution du jugement contre les commandités et non au moment d'entreprendre le recours. Pour reprendre les termes du juge Guthrie, « 2221 C.c.Q. ne représente pas autre chose qu'un ordre de collocation ». Le droit d'exercer d'un recours judiciaire contre les commandités ne saurait être subordonné à une simple mesure d'exécution.  
[27]        Deuxièmement, la discussion des biens sociaux ne retarde que la poursuite du paiement. Le lien de droit entre le commandité et le créancier de la société en commandite existe dès la formation de l'obligation entre le créancier et la société. 
[28]        Troisièmement, faire dépendre le recours contre le commandité de l'insuffisance des biens sociaux confond les notions de personnalité et de patrimoine. La distinction entre les patrimoines de la société et des commandités n’existe que dans la mesure où les biens sociaux sont suffisants. À compter de l’insuffisance des biens, le créancier peut exercer ses droits directement sur le patrimoine du commandité puisque la fiction juridique opérant séparation des patrimoines disparaît. Au contraire, la société ne dispose jamais d'une personnalité distincte de celle de ses commandités, même lorsque ses biens sont suffisants pour faire face à ses obligations. Une poursuite contre la société est effectivement une poursuite contre les commandités.  
[29]        L'identité de personnalité juridique entre la société en commandite et ses commandités est d'autant plus évidente lorsque l'on considère qu’une fois les biens sociaux discutés, le jugement contre la société en commandite est exécutoire directement contre le commandité.
Jugement très important dans la matière.

Référence : [2014] ABD 497

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