mardi 3 août 2010

Pour pouvoir poursuivre les associés dans une société en commandite, il faut d'abord faire valoir l'insuffisance du patrimoine de la société

Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

Avant l'introduction de la plus récente incarnation du Code civil en 1994, un débat faisait rage quant au statut des sociétés en droit québécois. En effet, la jurisprudence et la doctrine étaient divisées sur la question de savoir si les sociétés possédaient une personnalité juridique distincte. Le législateur a mis un terme à ce débat en 1994 en décrétant que seule la société par actions possédait une personnalité juridique distincte, mais il n'a pas pour autant résolu toutes les difficultés à ce chapitre. La récente décision de Développement Bleury - de la Gauchetière Inc. c. Lalonde (2010 QCCS 3359) illustre bien ce propos.


Dans cette affaire, la demanderesse poursuivait en dommages (356 000 $) des sociétés en commandite, ainsi que les commandités et le commanditaire d'une de ces sociétés. Alléguant ne pas être responsable légalement des dettes de la société, les commandités et le commanditaire présentent une requête en irrecevabilité.

Appelée à trancher la question, l'Honorable juge Danièle Mayrand passe d'abord en revue l'historique des sociétés civiles et rappelle qu'il ne faut pas confondre l'absence de personnalité juridique et l'absence de patrimoine distinct. En effet note la juge Mayrand, si la société en commandite ne possède pas de personnalité juridique, elle peut néanmoins ester en justice (art. 2225 C.c.Q.) et elle possède un patrimoine qui lui est propre:
[26] Par contre, l'absence de personnalité juridique de la société en commandite n'est pas pertinent pour décider du droit de poursuivre isolément et distinctement les commandités et le commanditaire dans le contexte d'une procédure dirigée en réalité uniquement contre la société en commandite.

[27] La société en commandite a la capacité d'ester en justice (article 2225 C.c.Q.), elle a un nom (article 2189 C.c.Q.) et possède la capacité de contracter (article 2198 C.c.Q.).
[...]
[31] La Cour d'appel reconnaît aux « s.e.n.c. »(qui plus est aux sociétés en commandite)une autonomie patrimoniale à l'égard de ses propres biens :

Ce patrimoine social se distingue du patrimoine des associés. À cet égard, il n'apparaît plus possible de traiter du patrimoine de la société comme s'il appartenait, par indivision, aux associés. Comme on l'a vu, il s'agit plutôt d'un patrimoine qui jouit d'une autonomie propre.

Autre attribut, le droit d'ester en justice (article 2225 C.c.Q.), droit qui lui était nié sous l'empire du C.c.B.-C.

Finalement, le second alinéa de l'article 2221 C.c.Q. distingue les patrimoines pour le paiement des obligations de la société.

[…]

Les dispositions du Code civil du Québec reconnaissent aux « s.e.n.c. » une autonomie patrimoniale à l'égard de biens facilement identifiables, affectés à la société, et qui peuvent faire l'objet d'une liquidation qui leur est propre.

Dans ce contexte, la règle voulant que les commandités et commanditaires ne peuvent être tenus personnellement responsables des dettes de la société que lorsqu'elle les actifs de la société sont insuffisants pour satisfaire ces dettes (art. 2246 C.c.Q.) est parfaitement logique. S'ensuit selon la juge Mayrand qu'on ne peut simultanément poursuivre la société, ses commandités et commanditaires que lorsqu'il est allégué que la société n'a dores et déjà pas les actifs nécessaires pour satisfaire la dette. Puisque ce n'est pas le cas en l'espèce, la juge Mayrand accueille la requête en irrecevabilité:
[32] La juge Jeannine Rousseau, j.c.s. dans la cause d’Inter Plan Design inc. c. Interdoc Corporation et al a accueilli une requête en irrecevabilité présentée par le commandité dans un contexte similaire à la présente pause.

[33] Le Tribunal retient le raisonnement et la conclusion retenus par la juge Jeannine Rousseau :
La requête en irrecevabilité de 9072-3552 Québec inc. est accueillie : si l'article 2246 C.c.Q. prévoit que le commandité est responsable envers les tiers des dettes de la société en commandite en cas d'insuffisance des biens de la société en commandite elle-même, il s'agit là d'un autre débat, d'un deuxième débat; ce débat compliquerait inutilement la situation actuelle et n'est pas nécessaire pour résoudre le premier.

[…]

Par contre, le Tribunal peut entrevoir une situation où il serait utile de poursuivre et la société en commandite, et le commandité, par exemple si l'absence ou l'insuffisance de biens de la société en commandite existait dès lors et qu'il était évident que les biens du commandité seraient nécessaires pour satisfaire au jugement contre la société en commandite, le cas échéant; il faudrait cependant, dans un tel cas, alléguer ces faits et les prouver.

Mais ce n'est pas le cas ici.
[34] Il n'y a aucune allégation dans la Requête voulant que Groupe Solim n'a pas les fonds pour acquitter le montant de la réclamation de 356 000 $ ni que l'apport du commanditaire n'a pas été fourni. Au contraire, les pièces produites semblent plutôt démontrer que les défenderesses sont solvables.

[35] L'absence de toute allégation factuelle, en regard des commandités et du commanditaire, commande le rejet de l'action contre celles-ci tant en vertu de l'article 165.4 C.p.c. que de l'article 54.1 C.p.c.

[36] Leur responsabilité n'est engendrée qu'en cas d'insuffisance de biens de la société, et quant au commanditaire, elle est, de surcroît, limitée à son apport à la société. On ne peut imposer à ces sociétés associées de se défendre à une action uniquement dans un contexte hypothétique.
 
Référence : [2010] ABD 52

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