mardi 3 août 2010

La Cour d'appel suspend l'exécution d'une injonction même en l'absence d'une démonstration prima facie de la faiblesse du jugement de première instance

par Karim Renno
Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

Décision intéressante et rafraîchissante (du moins du point de vue du soussigné) de la Cour d'appel en matière de suspension de l'exécution d'une ordonnance d'injonction. Dans Konarski c. Gornitsky (2010 QCCA 1291), la Cour rappelle en effet que, dans certaines circonstances exceptionnelles, elle sera ouverte à suspendre l'exécution même lorsque les critères traditionnels ne sont pas rencontrés.


En première instance, par voie d'injonction finale, la Cour supérieure avait ordonné au défendeur d'abattre 18 arbres matures de plus de 25 pieds de hauteur, situés dans la ligne arrière de sa propriété. Selon le juge de première instance, les arbres causaient des inconvénients anormaux qui excèdaient les limites de tolérance que se doivent des voisins. Le défendeur a déposé une inscription en appel et demandé la suspension de l'injonction permanente jusqu'à ce que le pourvoi soit réglé.

Cette demande est nécessaire à la lumière de l'article 760 C.p.c. qui prévoit que l'injonction finale prononcée en première instance reste en vigueur nonobstant appel. Saisit de cette demande de suspension, l'Honorable juge André Rochon rappelle d'abord que, règle générale, une partie requérante se doit d'établir une faiblesse apparente dans le jugement de première instance pour pouvoir obtenir la suspension de l'injonction:
[8] Je reconnais d'emblée que le requérant ne s'est pas déchargé de son fardeau de démontrer l'existence d'une faiblesse dans le jugement de la Cour supérieure. Il s'agit d'un jugement étoffé qui tranche tous les moyens soumis par les parties et qui semble à première vue être une application correcte, aux faits de l'espèce, des prescriptions de l'article 976 C.c.Q. À l'audience, le requérant, qui se représente seul, a soumis uniquement des arguments relatifs à l'évaluation de la preuve faite par le juge de première instance.

[9] Selon une jurisprudence constante, la démonstration d'une faiblesse apparente est la première condition que doit satisfaire la partie qui requiert la suspension de l'injonction aux termes de l'article 760 C.p.c.

L'analyse du juge Rochon ne s'arrête cependant pas là. Il note que l'exécution de l'ordonnance (i.e. la coupe des arbres) aurait des conséquences irréversibles et rendrait l'audition de l'appel théorique. Dans ces circonstances, la Cour se doit de suspendre l'exécution nonobstant le non-respect des critères traditionnels:
[10] Cela étant, à défaut d'avoir respecté cette première condition, il peut se présenter des situations qui, comme en l'espèce, feraient en sorte que le refus de suspension équivaudrait au rejet de l'appel, fonction qui n'appartient pas au juge unique, sauf dispositions précises à cet effet.

[11] Je n'élabore pas ici de nouvelles conditions d'application de l'article 760 C.p.c. Dans une affaire maintes fois reprises, le juge LeBel, alors à notre Cour, écrivait :
Comme on l'a vu, ce n'est donc que s'il y a une démonstration claire de situations comme l'absence de fondement juridique dans le jugement de première instance ou encore un préjudice démesuré pour une partie, à défaut de suspension pendant l'appel, que la requête pourra être accordée.
[12] À ce stade, il n'est pas raisonnable d'exiger du requérant qu'il coupe ses arbres matures qui ne pourront être remplacés (sauf peut-être à des coûts prohibitifs vu leur taille) si l'appel devait réussir. Il reviendra à la Cour, saisie d'une requête aux termes de l'article 501 C.p.c., de déterminer si l'appel doit suivre son cours.
 
Référence : [2010] ABD 51

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