mardi 23 décembre 2014

La tendance plus libérale en faveur de l'ajout de nouvelles parties par voie de demande reconventionnelle

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Nous avons écrit à quelques reprises sur la question de la possibilité d'ajouter comme défendeur reconventionnel une partie qui n'était pas préalablement partie au litige. Comme c'est souvent le cas en droit, la règle initiale rigide (impossible de le faire) a fait place à une approche plus contextuelle dans laquelle des exceptions sont permises dans des situations où la nouvelle partie n'était peut-être pas officiellement déjà présente, mais officieusement impliquée. La récente décision rendue dans Entreprises Massicotte Beaulieu inc. c. 9041-5969 Québec inc. (2014 QCCS 6155) s'inscrit bien dans ce courant plus libéral.



Dans cette affaire, la Demanderesse a déposé des procédures en jugement déclaratoire par lesquelles elle demande à la Cour de déclarer que la Défenderesse ne peut lui réclamer un prix supérieur à 25 000 $ par unité d’habitation pour les terrains faisant l’objet de la convention P-1 et de ses modifications.
 
La Défenderesse conteste ces procédures et se porte demanderesse reconventionnelle. Par sa demande reconventionnelle, elle réclame près de 1 400 000 $ à la Demanderesse et un nouveau défendeur reconventionnel que la Défenderesse décrit comme étant l'âme dirigeante de la Demanderesse.
 
Ce Défendeur reconventionnel présente donc une requête en irrecevabilité, plaidant que l'on ne peut ajouter une partie à l’instance par voie de demande reconventionnelle.
 
Notant la tendance beaucoup plus libérale sur la question, l'Honorable juge Yves Tardif rejette la requête en irrecevabilité et permet la continuation de la demande reconventionnelle:
[5]         Plus sérieuse est la proposition formulée par Massicotte Beaulieu concernant la portée d’une demande reconventionnelle. La jurisprudence citée par Massicotte Beaulieu est unanime. Elle affirme qu’on ne peut, par une demande reconventionnelle, ajouter une partie en l’instance. Il y a lieu toutefois de préciser que, sauf pour un cas, cette jurisprudence remonte à 1990 pour se terminer en 2006. Par contre, la jurisprudence citée par Québec est beaucoup plus contemporaine, allant de 2006 à 2012. Dans ces affaires plus récentes, les Tribunaux ont rejeté l’approche traditionnelle adoptée jusqu’alors et ont retenu essentiellement qu’il était possible, par demande reconventionnelle, d’ajouter une partie à l’instance. 
[6]           La Cour retient plus particulièrement l’opinion bien motivée de l’honorable Michèle Monast dans Ulisse 2000 : 
« [5]        Les défenderesses ont produit une défense dans laquelle elles plaident qu’il a été impossible pour elles d’effectuer le transport des réservoirs dans le délai et pour le prix initialement prévus en raison de la conduite fautive de la demanderesse et de son président, monsieur Antoine Geloso. Elles ont signifié une demande reconventionnelle dans laquelle elles mettent en cause le président de la demanderesse, monsieur Antoine Geloso, et demandent qu’il soit condamné, conjointement et solidairement avec la demanderesse, à payer des dommages-intérêts.  
[6]         Dans cette demande reconventionnelle, elles allèguent que, monsieur Geloso est l’âme dirigeante de la demanderesse et que sa conduite fautive est à l’origine des retards et des coûts additionnels encourus par la demanderesse. Elles soulèvent le caractère abusif des procédures intentées par la demanderesse et allèguent que ces procédures ont uniquement pour but de retarder le paiement des sommes qui leur sont dues. Elles réclament 397 726 $, dont 242 726 $ pour honoraires impayés, 75 000 $ pour troubles et inconvénients, et 80 000 $ pour honoraires extrajudiciaires.  
[…]  
[10]      Une jurisprudence constante reconnaît qu’un défendeur ne peut se porter demandeur reconventionnel que contre le demandeur. D’autre part, la demande reconventionnelle doit avoir une certaine connexité avec la demande principale, à défaut de quoi elle n’est pas recevable.  
[11]      Dans la présente cause, la demanderesse est une personne morale qui a une personnalité juridique distincte de celle de ses dirigeants. Au strict plan juridique, donc, monsieur Geloso est un tiers par rapport à la demanderesse et, à moins de circonstances exceptionnelles, il ne peut pas être visé par la demande reconventionnelle des défenderesses.  
[…]  
[13]      Les allégations contenues dans la requête introductive d’instance et les pièces produites par la demanderesse attestent de son implication dans le litige. Quant aux allégations contenues aux paragraphes 11, 149, 152, 158, et 159 de la défense et demande reconventionnelle, elles pourraient, si elles étaient prouvées, entraîner des conclusions de la nature de celles recherchées par les défenderesses.  
[14]      Finalement, même si le fondement de la demande principale est de nature contractuelle et que le fondement de la demande reconventionnelle contre monsieur Geloso est de nature extracontractuelle, il existe un lien étroit entre les deux recours, une connexité certaine entre les demandes et rien ne s’oppose à ce qu’elles soient entendues en même temps sur la même preuve, bien au contraire.  
[15]      Notre cour a déjà reconnu qu’un défendeur pouvait mettre en cause l’alter ego d’une demanderesse dans le cadre d’une demande reconventionnelle à condition que celui-ci ne soit pas totalement étranger au litige et que le fondement de la demande reconventionnelle ait un lien de connexité important avec la demande principale.  
[16]      Il s’agit là d’une interprétation relativement récente qui est fondée sur l’esprit de l’article 172 C.p.c. plutôt que sur son texte littéral. Elle a été retenue lorsque des circonstances particulières le justifiaient au regard des allégations contenues dans les procédures et qu’elle permettait au tribunal d’appliquer la règle de la proportionnalité en tenant compte des impératifs liés à une saine administration de la justice. » 
[...]          
[8]           C’est la situation ici. Bertrand Massicotte est l’âme dirigeante de Massicotte Beaulieu comme le démontrent les pièces au dossier. Quelle que soit la force probante des affirmations qu’elles contiennent, il est mentionné à titre de caution. La requête introductive d’instance affirme que Massicotte représentait Massicotte Beaulieu dans la transaction qui fait l’objet du litige. Bref, à cette étape, Massicotte semble être solidement impliqué dans la présente affaire.
Référence : [2014] ABD 510

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