Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Nous avons déjà traité de l'obligation pour le créancier de mettre son débiteur en demeure et lui donner un délai raisonnable pour s'exécuter, hormis les circonstances contraires édictées par la loi ou le contrat. Qu'est-ce qui se passe lorsqu'on ne donne pas un délai raisonnable? L'on risque voir son recours rejeté ou se voir opposer le désir du débiteur d'exécuter son obligation comme l'illustre l'affaire Giabouranis c. Aux Rythmes des saisons inc. (2014 QCCS 5579).
Dans cette affaire, le Demandeur, insatisfait du travail effectué par un entrepreneur, met fin à son contrat, procède à la démolition de l’ouvrage et le reconstruit lui-même. Il demande maintenant des dommages pour le préjudice qu'il a subi.
La Défenderesse fait valoir que le Demandeur ne lui a pas donné une période raisonnable pour exécuter son obligation via une mise en demeure. Qui plus est, elle allègue avoir offert d'effectuer les réparations et avoir vu le Demandeur refuser cette offre.
L'Honorable juge Danielle Turcotte, après analyse de la preuve, en vient à la conclusion que le délai accordé par le Demandeur à la Défenderesse pour corriger les travaux dans sa mise en demeure (7 jours) n'était pas raisonnable. Qui plus est, puisque la Défenderesse a offert d'exécuter les réparations à l'intérieur d'un délai raisonnable, cette offre était libératoire vu le refus du Demandeur:
[40] L’article 1590 C.c.Q. stipule que l’obligation confère au créancier le droit d’exiger qu’elle soit exécutée entièrement, correctement et sans retard. Pour ce faire, le client devait mettre l’entrepreneur en demeure de corriger ses travaux. Sa lettre du 23 mai 2012 ne peut être considérée comme une mise en demeure valable puisque l’une des prescriptions de l’article 1595 C.c.Q. est ignorée, soit l’obligation de donner un délai suffisant à l’entrepreneur :
La demande extrajudiciaire par laquelle le créancier met son débiteur en demeure doit être faite par écrit.
Elle doit accorder au débiteur un délai d’exécution suffisant, eu égard à la nature de l’obligation et aux circonstances; autrement, le débiteur peut toujours l’exécuter dans un délai raisonnable à compter de la demande.
(Nos soulignements)
[41] Manifestement, le délai de sept jours stipulé à la lettre de mise en demeure est déraisonnable. De toute évidence, l’entrepreneur ne pouvait, à l’intérieur d’un si court laps de temps, consulter un avocat, mandater un ingénieur, lui faire visiter les lieux, obtenir le résultat des analyses de résistance du béton à la compression, de même que le rapport final de l’ingénieur. Ce sont tous des professionnels ayant un agenda chargé.
[42] En outre, l’entrepreneur n’avait aucune idée de l’insatisfaction du client avant de recevoir la lettre du 23 mai.
[43] Ceci étant, l’article 1595 C.c.Q. mentionne que l’entrepreneur peut toujours, dans un délai raisonnable, exécuter son obligation.
[44] En raison du refus du client de le laisser agir, on doit considérer que l’entrepreneur a rempli son obligation. En effet, au moment où l’action est intentée, en juillet 2012, l’entrepreneur n’a pas encore reçu le rapport de son ingénieur. Une fois cette étape franchie, l’avocat de l’entrepreneur en avise son confrère et lui en transmet une copie.
[45] Au nom de l’entrepreneur, il offre d’exécuter les travaux en conformité avec les spécifications de l’ingénieur.
[46] L’avocat du client réitère son refus. Le client admet s’être objecté à ce que l’entrepreneur retourne sur les lieux, alors qu’aucun travail de démolition n’avait encore été entrepris, à l’automne 2012.
[47] L’entrepreneur reformule une offre réelle aux termes d’une lettre du 14 novembre 2012.
[48] Or, cette offre était bonne et valable. Il s’agit d’une forme de paiement, conformément à l’article 1553 C.c.Q. qui se lit comme suit :
Par paiement on entend non seulement le versement d’une somme d’argent pour acquitter une obligation, mais aussi l’exécution même de ce qui est l’objet de l’obligation.
(Notre soulignement)
[49] Dans la mesure où le Tribunal déclare l’offre du 14 novembre 2012 valable, elle constitue un paiement puisque l’entrepreneur a toujours été disposé à corriger ses travaux :
Les offres réelles acceptées par le créancier ou déclarées valables par le tribunal équivalent, quant au débiteur, à un paiement fait au jour des offres ou de l’avis qui en tient lieu, à la condition qu’il ait toujours été disposé à payer depuis ce jour.
(Nos soulignements)
[50] Les auteurs Baudouin et Jobin enseignent que :
En principe, rien ne s’oppose à ce que les offres réelles soient employées afin que le débiteur se libère de l’exécution d’une obligation qui porte sur une autre forme d’exécution en nature, telle une prestation de service. Il convient alors d’apporter les adaptations nécessaires aux règles évoquées précédemment par rapport à l’obligation portant sur un bien matériel. Il faut garder en tête que les offres réelles consistent à démontrer au créancier la volonté du débiteur de s’exécuter aux temps et lieu où le paiement doit être fait (art. 1573, al. 2 C.c.Q.), de façon à éviter de se faire reprocher ultérieurement son défaut d’exécution.
(Nos soulignements)
[51] Ainsi, le tribunal déclare que l’offre réelle de réparer est valable, de sorte qu’elle équivaut, quant à l’entrepreneur, à un paiement fait le 14 novembre 2012, puisque celui-ci a toujours consenti à rectifier l’ouvrage.
[52] L’action du client doit en conséquence être rejetée.Référence : [2014] ABD 475
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