lundi 10 novembre 2014

L'application de la méthode d'interprétation de la "pratique passée" nécessite un élément conscient de la part des parties

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Nous avons déjà discuté à quelques reprises du fait que la renonciation à un droit, si elle peut être implicite, doit être claire et non équivoque. Comme le souligne l'Honorable juge Gérard Dugré dans l'affaire Holcim (Canada) inc., division Joliette c. Lauzon (2014 QCCS 5270), la même logique est application à l'application de la théorie de la pratique passée pour l'interprétation d'une convention collective.
 


Dans cette affaire, le juge Dugré est saisi d'une demande de révision judiciaire sollicitant l’annulation d’une décision arbitrale. La Requérante fait essentiellement valoir que l'arbitre de grief a commis des erreurs dans l'interprétation de la convention collective.
 
Plus spécifiquement, la Requérante plaide que l'arbitre a erré en n'appliquant pas la méthode d'interprétation de la pratique passée à la clause en litige.
 
Le juge Dugré rejette l'argument de la Requérante à cet égard parce que la pratique qui diverge du sens de la clause doit être consciente et démontrer une intention de renoncer à un droit contractuel:
[55]        Holcim plaide que la clause 19.07 était certainement ambiguë en raison d’un écart entre le libellé de cette disposition et le comportement réel des parties. Cet argument est fondé sur la notion de pratique passée.  
[56]        Les auteurs Robert P. Gagnon et autres, dans Le Droit du travail du Québec, définissent clairement et précisément la notion de pratique passée comme suit :  
773 – Pratique passée – La pratique passée, par laquelle les parties ont elles-mêmes interprété une stipulation conventionnelle, par leur conduite, est aussi un guide disponible pour dégager le sens d’une disposition ambiguë. Pour recevoir effet, une pratique doit avoir été constante, généralisée et consciente de la part des parties pendant une période significative. Même dans ces conditions, elle ne saurait faire obstacle à l’application d’un texte clair. La Cour d’appel a reconnu la légitimité de l’application par les arbitres de la doctrine dite de l’estoppel ou de la fin de non-recevoir, selon laquelle la conduite d’une partie a pu justifier l’autre partie de croire qu’elle renonçait à faire valoir un droit que lui conférait la convention collective. L’application de la doctrine de l’estoppel, étroitement liée à l’exigence de la bonne foi, ne permet cependant de repousser qu’une première réclamation, après laquelle il devient clair que la partie réclamante entend désormais faire valoir le droit auquel elle aurait renoncé par le passé. [notes omises] 
[57]        Cette description de la notion de pratique passée permet aisément de conclure que cet argument de Holcim ne peut être retenu en l’espèce. En effet, pour que l’on puisse faire appel à la pratique passée, la disposition doit être ambiguë. Or, l’arbitre a conclu, avec raison, que le texte de l’article 19.07 est clair.  
[58]        De plus, on ne peut utiliser la pratique passée pour susciter une ambiguïté dans une disposition autrement claire de la convention collective pour ensuite invoquer cette pratique passée afin de résoudre l’ambiguïté ainsi créée. Ce genre de raisonnement circulaire heurte le sens commun et doit, en droit, être évité.  
[59]        De surcroît, une pratique doit, pour avoir effet, avoir été « consciente » de la part des parties. Or, Holcim ne réfère à aucune preuve qui aurait été faite devant l’arbitre à l’effet que le Syndicat avait « consciemment » limité l’application de l’art. 19.07 à l’invalidité de courte durée. À cet égard, la notion de pratique passée doit être cernée à la lumière du principe suivant : « [l]a véritable règle de droit, c’est qu’on n’est jamais censé renoncer à un droit, et alors que l’acquiescement peut être tacite, il doit être non-équivoque, c’est-à-dire l’intention d’acquiescer ou de renoncer doit être démontrée». 
[60]        En l’espèce, l’arbitre ne fait état d’aucune preuve démontrant que le Syndicat aurait renoncé consciemment ou en toute connaissance de cause à l’application de l’article 19.07 aux cas d’invalidité de longue durée.
Référence : [2014] ABD 447

Aucun commentaire:

Publier un commentaire

Notre équipe vous encourage fortement à partager avec nous et nos lecteurs vos commentaires et impressions afin d'alimenter les discussions à propos de nos billets. Cependant, afin d'éviter les abus et les dérapages, veuillez noter que tout commentaire devra être approuvé par un modérateur avant d'être publié et que nous conservons l'entière discrétion de ne pas publier tout commentaire jugé inapproprié.