mercredi 9 mai 2012

L'abandon d'un droit réel peut être implicite dans la mesure où il est manifeste

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Nous en avons déjà traité, la renonciation à un droit peut être implicite, dans la mesure où la trame factuelle démontre une volonté manifeste de la part de la partie qui est alléguée avoir ainsi renoncé. Comme l'indique la Cour d'appel dans l'affaire Vachon c. Carrier (2012 QCCA 821), il en est de même de l'abandon d'un droit réel comme le droit de superficie.


Dans cette affaire, la Cour est saisie de l'appel d’un jugement rendu le 19 novembre 2010 par la Cour supérieure, lequel a accueilli la requête pour jugement déclaratoire de l’Intimée et déclaré que cette dernière était autorisée à vendre sa propriété immobilière en raison du fait que les Appelants ne détenaient aucun droit réel sur cette propriété.

Au soutien de leur pourvoi, les Appelants font valoir que le testament leur a accordé à chacun un droit réel d’usage sur la propriété et que le juge de première instance a erronément fait abstraction de celui-ci.

Dans son jugement unanime écrit sous la plume de l'Honorable juge Lorne Giroux (les Honorables juges Dufresne et Bouchard souscrivant à ces motifs), la Cour rejette l'argument présenté par l'Appelante. D'abord, le juge Giroux émet l'opinion que le droit des Appelants s'apparentait beaucoup plus à un droit de superficie que d'usage. Ce droit s'éteint par la consolidation du droit de propriété et de superficie. Il s'ensuit donc que les Appelants ont abandonné leur droit lorsqu'ils ont volontairement quitté la propriété.

Selon le juge Giroux, cet abandon, comme la renonciation à un droit personnel, peut être implicite dans la mesure où la trame factuelle démontre une volonté manifeste de ce faire. En l'instance, le juge Giroux voit ici une telle volonté:
[34] Toujours en tenant pour acquis que les appelants détenaient un droit de superficie sur l’immeuble du testateur, le déménagement en 2005 par monsieur Charles Vachon de sa roulotte en un autre lieu pose la question de l’abandon de son droit réel de propriété superficiaire. 
[35] La faculté d’abandon est en effet une des prérogatives du droit réel. Elle est bien expliquée par le professeur Sylvio Normand :
1.3.4 Faculté d’abandon 
Le droit réel attaché à un bien s’éteint par abandon. Cette faculté est un acte unilatéral qui exprime la volonté du titulaire d’un droit réel de renoncer à son droit. L’acte n’exige donc pas le concours d’un tiers. Une telle prérogative découle de l’étendue des pouvoirs reconnus au titulaire d’un droit réel sur l’objet de son droit. L’abandon présente un caractère abdicatif, il n’est pas translatif d’un droit réel. Le droit abandonné ne constitue plus un élément du patrimoine de celui qui y renonce, il est désormais un droit éteint. Le caractère abdicatif de l’abandon explique qu’il soit possible de renoncer à un droit incessible. 
En plus d’entraîner la disparition d’un droit réel, l’abandon libère celui qui l’exerce des charges réelles qui pesaient sur son droit. […]
[36] Il est également bien acquis que l’abandon tout comme la renonciation à un droit ne se présume pas, même si la renonciation peut être tacite :
Parce que la renonciation est une abdication, elle ne se présume pas : Nemo res suas jactare praesumitur. Et pour qu’il y ait renonciation tacite, il faut que les faits dont on voudrait l’induire soient tels qu’ils fassent voir une volonté manifeste d’abandonner le droit, c’est-à-dire que ces faits soient contraires au droit dont il s’agit, ou inconciliables avec lui.
[37] Selon la Cour suprême, la renonciation tacite s’induit de faits non équivoques qui impliquent nécessairement la volonté du créancier d’abandonner son droit. Les appelants plaident qu’en remettant la roulotte à la propriétaire tréfoncière, d’une part, et en transportant l’autre roulotte ailleurs, d’autre part, ils n’ont pas abandonné un droit dont ils ne pouvaient connaître l’existence puisqu’ils n’ont appris qu’en 2009 l’existence de la clause spéciale au testament. Ils font valoir que leur consentement à mettre fin à leur occupation, bien qu’il ait été libre, n’a pas été éclairé puisqu’il a été vicié par le dol des exécuteurs testamentaires qui, en contravention de leurs devoirs, les ont laissés dans l’ignorance du droit que leur accordait le testament. 
[38] Cet argument doit être rejeté. Rien dans la preuve ne permet d’imputer dol ou mauvaise foi aux exécuteurs testamentaires ou liquidateurs du testateur. Dans leur énoncé sommaire des moyens de la défense, les appelants reprochent à l’intimée et au liquidateur successoral d’avoir « négligemment et sciemment » fait défaut de les aviser de leurs droits. Ils n’ont cependant administré aucune preuve permettant de savoir si les exécuteurs ou liquidateurs testamentaires ont fait défaut de faire l’inventaire requis par la clause VIII du testament P-2 ou, l’ayant fait, ont omis de les y appeler ou de les en informer.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/K2h1j9

Référence neutre: [2012] ABD 143

Autre décision citée dans le présent billet:

1. D’Assylva c. D’Assylva, [1954] B.R. 511.
2. Gingras et Immeubles Adams c. Gagnon, [1977] 1 R.C.S. 217.

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