mercredi 26 novembre 2014

Il faut alléguer les faits précis qui permettent la levée du voile corporatif

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Le fait d'être l'alter ego d'une autre personne ou son actionnaire n'est pas suffisant pour justifier la levée du voile corporatif. Il est donc impératif, lorsqu'on recherche la levée du voile corporatif, d'alléguer les faits précis qui pourraient justifier celle-ci. À défaut, le rejet préliminaire du recours sera justifié tel que l'illustre l'affaire Jasmin c. Beaulieu (2014 QCCS 6146).



Dans cette affaire, les Demandeurs intentent un recours en dommages contre les Défendeurs pour réclamer certaines sommes qui seraient dues aux termes de deux contrats d’entreprise intervenus les 8 juin et 13 septembre 2011.
 
Deux des Défendeurs poursuivis à titre d'actionnaires présentent une requête en irrecevabilité, plaidant qu'aucune allégation faite dans la requête introductive d'instance ne justifierait la levée du voile corporatif et leur condamnation personnelle.
 
L'Honorable juge Robert Castiglio
[19]        Les Demandeurs tentent de justifier leur recours à l’encontre de Beaulieu et 9159 en invoquant leur statut d’actionnaires d’OTM; ils allèguent ce qui suit au paragraphe 38 de la requête introductive d’instance amendée : 
« 38.  Considérant que c’est sans droit et sans apparence de droit que (…) les défendeurs, Beaulieu, OTM et 9159-4671 Québec inc., s’enrichissent au détriment des demandeurs, en ce que OTM jouit des sommes qui appartiennent de droit aux demandeurs, que son actionnaire, la défenderesse 9159-4671 Québec Inc., à titre d’actionnaire de OTM jouit également de l’enrichissement du patrimoine de OTM et que c’est sur les instructions de son seul dirigeant et président que OTM refuse sans droit, dans le seul but de nuire aux activités des demandeurs, de remettre aux demandeurs les sommes qui leurs sont dues, considérant que c’est avec la complicité du défendeur, Beaulieu, que les demandeurs furent indûment privés de leurs gains pendant plus de six (6) mois, ces derniers sont bien fondés de réclamer une condamnation solidaire des défendeurs, Beaulieu, OTM et 9159-4671 Québec inc.; » 
[20]        De l’avis du Tribunal, cette allégation n’est pas suffisante pour permettre le soulèvement du voile corporatif que requièrent les Demandeurs. 
[21]        Dans Coutu c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, la Cour d’appel, sous la plume du juge Philippon, rappelle les conditions pour permettre le soulèvement du voile corporatif : 
« Cependant, le fait qu'une compagnie soit l'alter ego d'un individu ou d'une autre compagnie ne suffit pas pour conclure que le tribunal peut soulever le voile corporatif. Il faut aussi qu'il y ait eu fraude, abus de droit ou contravention à une règle d'ordre public. Le professeur Martel écrit : 
" [...] l'article 317 permet le "soulèvement du voile corporatif" lorsque la compagnie est l'alter ego de son actionnaire ou d'une autre compagnie, et qu'elle est utilisée pour commettre, à l'instigation ou au bénéfice de celui-ci ou de celle-ci, une fraude, un abus de droit ou une contravention à une règle d'ordre public. En l'absence d'un de ces trois gestes, le fait que la compagnie soit un alter ego n'entraînera pas le non-respect de son identité corporative, ou de l'immunité de son actionnaire.
Il n'y a en soi rien de mal à ce qu'une compagnie soi un alter ego. Ce n'est que si elle est utilisée aux fins répréhensibles énoncées à l'article 317 que le "voile corporatif" peut être soulevé. La jurisprudence est à l'effet qu'en l'absence de fraude, l'identité corporative d'une compagnie sera respectée."
Enfin, il est nécessaire que la compagnie alter ego ait été utilisée pour masquer la fraude, l’abus de droit ou la contravention à une règle intéressant l’ordre public. […] » 
[22]        Aux termes de l’article 317 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »), le soulèvement du voile corporatif est permis lorsque la compagnie est l’alter ego de son actionnaire ou d’une autre compagnie et qu’elle est utilisée pour commettre, à l’instigation de l’actionnaire, soit une fraude, un abus de droit ou une contravention à une règle d’ordre public. 
[23]        En l’absence de l’un de ces trois éléments, le fait qu’une compagnie soit un alter ego n’entraîne pas le soulèvement du voile corporatif ou le non respect de son identité corporative. 
[24]        En l’instance, il n’est aucunement allégué que Beaulieu utilise un montage corporatif dans le but de commettre une fraude, un abus de droit ou une contravention à une règle d’ordre public.  Par ailleurs, le seul fait que Beaulieu et 9159 soient des actionnaires d’OTM ne peut donner ouverture aux conclusions recherchées.
Référence : [2014] ABD 471

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