vendredi 22 novembre 2013

L'action intentée contre une compagnie au seul motif qu'elle est l'alter ego d'une autre, sans que l'abus de droit ou la fraude soit allégué, est une procédure abusive qui doit être rejetée au stade préliminaire

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Nous en avons discuté à maintes reprises: le seul fait pour une partie d'être l'alter ego d'une autre n'entraîne pas la levée du voile corporatif en l'absence d'abus de droit, de fraude ou de contravention à une règle intéressant l'ordre public (voir, par exemple, notre billet du 21 février 2013). Ainsi, même au stade préliminaire, le recours intenté contre une compagnie seulement parce qu'elle est l'alter ego d'une autre devra être rejeté comme l'indique l'affaire Ciment Québec inc. c. 9139-0724 Québec inc. (2013 QCCS 5813).
 


Dans cette affaire, la Requérante est une défenderesse par mise en cause forcée au motif qu'elle sera l'alter ego de la Défenderesse. Elle dépose donc une requête en rejet d'action fondée sur les articles 54.1 C.p.c. et suivants pour que le recours contre elle soit rejeté immédiatement.
 
L'Honorable juge Clément Samson, citant la jurisprudence pertinente, souligne que le fait d'être l'alter ego de la partie Défenderesse n'entraîne aucune responsabilité en l'absence d'allégation d'abus de droit, de fraude ou de contravention à une règle intéressant l'ordre public. Puisque il n'y a dans les procédures aucune allégation à cet effet, la Requérante est justifiée de demander le rejet immédiat des procédures contre elle:
[20]        Au stade préliminaire, les allégations de la procédure de CAF doivent être tenues pour avérées. Toutefois, la qualification de ces faits par CAF ne doit par ailleurs pas être tenue compte. 
[21]        CAF allègue peu de faits démontrant qu’il y a lieu de lever le voile corporatif. Le fait que deux entreprises aient le même administrateur et que l’une soit actionnaire unique de l’autre ne sont pas en soi des contraventions à l’ordre public. Conclure autrement remettrait en cause le droit corporatif et l’une des notions centrales de ce droit, le voile corporatif. 
[22]        D’autre part, on peut aussi comprendre que CAF n’a pas accès à toute l’information pour ajouter beaucoup d’éléments précis, puisque ce qui se passe entre 9139 et 9095 est de nature privée. 
[23]        En soi, permettre de poursuivre la société-mère à toutes les fois qu’une filiale est présumée responsable d’un geste qu’elle a posé ouvre la porte à des procédures complexes et des « parties de pêche » inutiles sur les relations que deux sociétés peuvent entretenir. Bien plus, il serait inapproprié de permettre, avant jugement, des interrogatoires qui ont habituellement lieu après un jugement qui accueille une réclamation. 
[24]        Le simple fait d’évoquer les relations juridiques et financières entre la mère et la fille, sans pour autant alléguer que ces relations ont été structurées en fraude des droits des réclamants, favorise le maintien du voile corporatif.  
[25]        Ces raisons militent en faveur du rejet de la procédure contre la société-mère 9095. 
[26]        Le Tribunal tient à souligner que la signature des contrats n’est pas un réel motif de confusion vu les allégations de CAF et les réponses données par son président.  
[27]        Faire affaires sous la même dénomination sociale l’une à la suite de l’autre en toute connaissance pour le cocontractant n’a pas non plus de caractère abusif, frauduleux ou allant à l’encontre d’une règle d’ordre public.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/1iPpsSi

Référence neutre: [2013] ABD 467

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