Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Vous connaissez tous ma croisade contre la nécessité de démontrer un comportement blâmable de la part de la partie demanderesse pour rejeter un recours manifestement mal fondé. Malheureusement, mes succès sont mitigés en grande partie parce que mon opinion ne vaut pas plus que celle d'un autre, mais surtout parce que la Cour d'appel continue de rendre des jugements qui manquent de constance sur la question (voir par exemple notre billet du 7 juillet 2014 en comparaison avec la décision rendue par la Cour d'appel dans Gestion Gloucester, société en commandite c. Gaudreau Environnement inc. (2013 QCCA 1676) dont nous avons traité en octobre 2013 ... simplement irréconciliable). C'est pourquoi il me fait toujours plaisir d'attirer votre attention sur des décisions qui posent correctement selon moi le test à appliquer. C'est le cas de l'affaire Banque Toronto-Dominion c. Lapierre (2014 QCCS 4588).
Dans cette affaire, l'Honorable juge Chantal Lamarche est saisie d'une requête en irrecevabilité et rejet d'action en vertu des articles 165 et 54.1 C.p.c. par laquelle la Défenderesse en garantie demande le rejet préliminaire du recours intenté contre elle.
La juge Lamarche fait état du test à appliquer en la matière comme suit:
[21] Cependant, lorsque le recours n’a aucune assise en droit, le Tribunal peut, de façon préliminaire, le rejeter. D’ailleurs, dans un jugement récent la Cour d’appel reconnaît que l’abus prévu à l’article 54.1 C.p.c. peut résulter d’une procédure manifestement mal fondée. La Cour s’exprime ainsi :
[3] L’article 54.1 décrit trois actes de procédure abusifs; soit un acte
- manifestement mal fondé;
- manifestement frivole;
- manifestement dilatoire.
Il ne requiert pas qu’on retrouve à l’acte les trois caractéristiques.
[4] Il est vrai que l’article commence par les mots « l’abus peut résulter de… », mais il est difficile d’imaginer qu’une action manifestement mal fondée qui ne constituerait pas un abus à sanctionner. L’expression anglaise appuie cette interprétation « the procedural may consist in a claim… » ce qui laisse entendre que les cas mentionnés constituent des abus et qu’il peut même s’en trouver d’autres.
[22] L’honorable Marie-France Bich de la Cour d’appel rappelle également ce principe dans l’arrêt F. L. c. Marquette:
[13] Les articles 54.1 et s. C.p.c. peuvent donc être employés dans tous les cas suivants (entre lesquels il peut d'ailleurs y avoir certains recoupements) :
- lorsque la demande en justice (ou l'acte de procédure) est manifestement mal fondée, frivole ou dilatoire;
- lorsque la demande en justice (ou l'acte de procédure) résulte d'un comportement vexatoire ou quérulent ou de l'utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou en vue de nuire à autrui;
- lorsque la demande en justice (ou l'acte de procédure) résulte de la mauvaise foi;
- lorsque la demande en justice (ou l'acte de procédure) résulte du détournement des fins de la justice, notamment (mais non exclusivement) si cela a pour effet de limiter la liberté d'expression d'autrui dans le contexte de débats public.
[14] Selon l'intimé, la situation des requérants correspondrait au premier cas de figure ci-dessus. Ce fut également l'avis de la juge de première instance qui n'a pas trouvé dans le dossier l'indice de l'existence d'une faute ni celle d'un préjudice, conditions essentielles à la poursuite d'un recours en dommages-intérêts.
[...]
[18] Il va de soi par ailleurs que les articles 54.1 et s. C.p.c. permettent le rejet total d'une action jugée abusive, et ce, avant même que la partie demanderesse ait eu le bénéfice d'un procès et la possibilité d'y faire une preuve complète. C'est même l'objectif de ces dispositions que soit stoppé en cours de route un recours manifestement mal fondé ou abusif, dont on réalise qu'il est voué à l'échec. Les articles 54.1 et 54.3 ne laissent aucun doute à ce sujet. L'article 54.1 ayant été reproduit plus haut, voici l'article 54.3 C.p.c.
[…]
[19] Le pouvoir de rejeter l'action est donc clairement octroyé au tribunal qui doit certes l'exercer de manière prudente, mais qui n'est pas privé de le faire lorsqu'il estime que les conditions d'un tel rejet sont remplies. Par ailleurs, s'il est vrai que le tribunal peut choisir les mesures moins draconiennes qu'énumère le second alinéa de l'article 54.3, il n'est pas pour autant empêché de rejeter l'action qu'il juge véritablement abusive. C'est ce qu'a fait ici la juge de première instance.
[…]
Exactement.[22] Bien sûr, les allégations de la requête introductive d'instance affirment l'existence d'une faute et d'un préjudice, mais, selon la juge de première instance, les interrogatoires préalables révèlent que ces allégations n'ont pas de substance.
[Références omises]
[Soulignements du Tribunal]
Référence : [2014] ABD 394
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