dimanche 12 octobre 2014

Dimanches rétro: les tribunaux d'appel n'ont pas toujours été aussi respectueux des inférences tirées de la preuve

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

S'il est - depuis maintenant plusieurs années - clair que les tribunaux d'appel n'interviendront pas en l'absence d'erreur manifeste et détermination à l'égard de questions factuelles ou d'inférences tirées de telles questions, cela n'a pas toujours été le cas. Au contraire, comme l'illustre la décision rendue par la Cour suprême en 1883 dans Russell v. Lefrançois (8 SCR 335), les tribunaux d'appel n'hésitaient pas jadis à intervenir sur de tels sujets hormis les questions de crédibilité.



Dans cette affaire, la Cour suprême était saisie d'un pourvoi à l'encontre d'un jugement de la Cour du Banc de la Reine du Bas-Canada qui a jugé valide un testament. L'Appelante faisait valoir que le testament était entaché d'une erreur puisque le défunt léguait des biens à sa "femme Julie Morin" alors que celle-ci était la femme d'un autre homme à l'époque (la beauté de lire des vieux jugements, c'est d'y retrouver des trames factuelles que l'on trouverait absurdes aujourd'hui...).
 
Dans un jugement majoritaire, la Cour suprême renverse la décision.
 
Au nom de la majorité, l'Honorable juge Taschereau souligne que le tribunal d'appel pourra tirer ses propres inférences de la preuve présentée en première instance:
Mais ce dictum, et autres du même genre, ne veulent pas dire que, sur une question de fait, une cour d'appel, devra toujours suivre l'opinion du tribunal de première instance. La loi eût été absurde si tout en donnant droit d'appeler du jugement du tribunal de première instance sur une question de fait, elle eut dit ou suppose que la Cour d'Appel, sur toute question de fait, s'en rapportera à la decision du juge a quo. Aussi, le Conseil Privé disait dans une cause de Canepa v. Larios
The judicial committee is not bound by the decision of the court below upon a question of evidence, although in general it will follow it. 
Et dans " The Glannibanta, " la Cour d'Appel disait: 
That the parties were entitled to have the decision of the Court of Appeal, on questions of fact as well as on questions of law, and that the court could not excuse itself from the task of weighing conflicting evidence and drawing its own inferences and conclusions. Though it should alwavs bear in mind that it has not heard nor seen the witnesses. for which due allowance should be made. The court added that, as a rule, a court of appeal will be disinclined to interfere, when the judge hearing' the witnesses has come to his decision upon the credibility of witnesses as evinced by their demeanor, but otherwise, in cases where it depends upon the drawing of inferences from the facts in evidence. 
Et dans Bigsby v. Dickinson la cour decide que: 
Although the Court of Appeal, when called on to review the conclusion of a judge of first instance after hearing witnesses vivâ voce will give great weight to the consideration that the demeanor and manner of the witnesses are material elements in judging of the credi. bility of the witnesses, yet, it will in a proper case act upon its own view of conflicting evidence. 
Dans cette dernière cause James, L. J disait : 
Of course if we are to accept as final the decision of the court of first instance in every case where there is a conflict of evidence our labours would be very much lightened, but then that would be doing away with the right of anneal in all cases of nuisance for there never is one brought into court in which there is not contradictory evidence, 
Et Bramwell, L. J., ajoutait : 
The legislature has contemplated and made provision for our reversing a judgment of a Vice-Chancellor where the burden of proof has been held by him not to have been sustained by the plaintiff, and where he has had the living witnesses and we have not? If we were to be deterred by such considerations as those which have been presented to us, from reversing a decision from which we dissent, it would have been better to say at once that in such cases there shall be no appeal. 
Et dans Jones vs. Hough, Bramwell et Cottón L JJ. disaient : 
First I desire to say a word as to our jurisdiction. If, upon the materials before the learned judge, he has, in giving judgment, come to an erroneous conclusion upon certain questions of fact and we see that the conclusions are erroneous we must come to a different conclusion and act upon the conclusion that we come to and not accept his finding.  
I have not the slightest doubt such is our power and duty. A great difference exists between a finding by the judge and a finding by the jury. Where the jury find the facts, the court cannot be substituted for them, because the parties have agreed that the facts shall be decided by a jury; but where the judge finds the facts, there the Court of Appeal has the same jurisdiction that he has, and can find the facts which ever way they like. I have no doubt, therefore, that it is our jurisdiction, our power and our duty: and if, upon these materials, judgment ought to be given in any particular way different from that in which Lindley, J., has given it, we ought to give that judgment. 
Dans la présente cause, aucun des témoins de l'appelante n'a été entendu devant le savant juge qui a rendu le jugement en cour de première instance, et ii lui a fallu former son opinion comme nous avons à le faire sur la simple lecture des depositions de ces témoins. Sous ces circonstances surtout, cette cour siégeant ici en appel de ce jugement, serait, Il me semble, oublieuse de ses devoirs, si elle négligeait de former son opinion sur les faith de la cause d'aprss la preuve qui se trouve au dossier. Car il ne s'agit pas ici de la crédibilité on non crédibilité des témoins, mais seulement d'une inférence de fait des faits prouvés, c'est-à-dire quo, sur cette issue, la question à résoudre est; Faut-il inférer des faits prouvés le fait quo Russell n'était pas compos mentis lorsqu'il a fait le testament attaqmé. Nous ne devons pas manquer de prendre en considération, sans doute, que, sur cette question, l'intimée a, en sa favour, l'opinion du savant Juge en Chef do la Cour Supérieuee et de quatre des savants Juges de la Cour du Banc do la Reine. Nous ne pouvons oublier, non plus, qu'il no suffit pas à l'appelante de créer des doutes dans notre esprit, mais qu'il lui faut nous convaincre qu'il y a erreur dans le jugement dont elle so plaint. Mais ii n'est pas moins certain, quo si, d'après nos propres lumières, et d'après l'examen do la preuve produite, nous en venons à la conclusion qu'il y a erreur, l'appelante a droit à un jugement en sa faveur de notre part. Le fait quo doux tribunaux ont déjà décida contre elle no peut nous exempter de la responsabilité de décider d'après notre propre jugement. Li loi nous en impose lu devoir, en décrétant quo, sur une question du fait, il y aura appel à la Cour Supreme des jugements de ces deux tribunaux, même lorsque tous deux ils en seront venus à la même conclusion. Elle nous ordonne do rendre ici, sur cette question de fail, le jugement que, dans notre opinion, formée d'après la preuve produite par les parties la Cour du Banc de la Reine aurait dû rendre quand bien memo l'on trouverait dans la cause contre l'appelante le jugement du juge de première instance.
Le gras et le souligné ci-dessus est de nous.

Référence : [2014] ABD Rétro 41

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