dimanche 11 novembre 2012

Dimanches rétro: le respect des conclusions et inférences factuelles de première instance

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

L'appel, on le sait, n'est pas une audition de novo. Les conclusions factuelles et les inférences tirées par le juge de première instance méritent une grande déférence en appel. Aujourd'hui, dans le cadre de la série des Dimanches rétro, nous traitons de la décision de principe de la Cour suprême en la matière, Housen c. Nikolaisen ([2002] 2 R.C.S. 235).


Cetta faire découle d'un accident de la route. En effet, l’Appelant était passager dans le véhicule conduit par N sur une route rurale située sur le territoire de la municipalité Intimée. N a été incapable de prendre un virage serré et il a perdu la maîtrise de son véhicule. L’Appelant est devenu quadriplégique à la suite des blessures subies dans l’accident. 
 
À l’approche de l’endroit de l’accident, la distance de visibilité était réduite en raison du rayon de courbure du virage et de la présence de broussailles poussant jusqu’au bord du chemin. La juge de première instance en est venu à la conclusion que l’Appelant était responsable de négligence concourante dans une proportion de 15%, du fait qu’il avait omis de prendre des précautions raisonnables pour assurer sa propre sécurité en acceptant de monter à bord du véhicule de N, et elle a réparti le reste de la responsabilité solidairement entre N (50%) et l'Intimée (35%). La Cour d’appel a infirmé la conclusion de la juge de première instance selon laquelle la municipalité avait été négligente.
 
La question centrale qui se pose dans ce pourvoi est celle de la déférence qui doit être accordée aux conclusions factuelles tirées par la juge de première instance.
 
En introduction, la majorité de la Cour étaye les principes généraux s'appliquant aux conclusions factuelles. Ce faissant, elle donne la définition à appliquer pour le concept d'erreur manifeste:
1 Il va sans dire qu’une cour d’appel ne devrait modifier les conclusions d’un juge de première instance qu’en cas d’erreur manifeste et dominante. On reformule parfois cette proposition en disant qu’une cour d’appel ne peut réviser la décision du juge de première instance dans les cas où il existait des éléments de preuve qui pouvaient étayer cette décision. 
2 Il existe une abondante jurisprudence étayant cette proposition, particulièrement des décisions émanant de cours d’appel, tant au Canada qu’à l’étranger (voir Gottardo Properties (Dome) Inc. c. Toronto (City) (1998), 162 D.L.R. (4th) 574 (C.A. Ont.); Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254; Toneguzzo‑Norvell (Tutrice à l’instance de) c. Burnaby Hospital, [1994] 1 R.C.S. 114; Van de Perre c. Edwards, [2001] 2 R.C.S. 1014, 2001 CSC 60). En outre, des auteurs, tant à l’échelle nationale qu’internationale, y souscrivent (voir C. A. Wright, « The Doubtful Omniscience of Appellate Courts » (1957), 41 Minn. L. Rev. 751, p. 780; l’honorable R. P. Kerans, Standards of Review Employed by Appellate Courts (1994); et American Bar Association, Judicial Administration Division, Standards Relating to Appellate Courts (1995), p. 24‑25). 
3 Le rôle des tribunaux d’appel a été défini de manière judicieuse dans l’arrêt Underwood c. Ocean City Realty Ltd. (1987), 12 B.C.L.R. (2d) 199 (C.A.), p. 204, où la cour a dit ceci :
[traduction] La cour d’appel ne doit pas juger l’affaire de nouveau, ni substituer son opinion à celle du juge de première instance en fonction de ce qu’elle pense que la preuve démontre, selon son opinion de la prépondérance des probabilités.
4 Quoique cette théorie soit généralement acceptée, elle n’est pas appliquée de manière systématique. Le fondement de cette théorie est aussi valide aujourd’hui qu’il l’était il y a 100 ans. Cette théorie repose sur l’idée que le caractère définitif des décisions est un aspect important du processus judiciaire. Personne ne prétend que les juges des cours d’appel seraient, d’une manière ou d’une autre, plus intelligents que les autres et donc capables d’arriver à un meilleur résultat. Leur rôle n’est pas de rédiger de meilleurs jugements, mais de contrôler les motifs à la lumière des arguments des parties et de la preuve pertinente, puis de confirmer la décision à moins que le juge de première instance n’ait commis une erreur manifeste ayant conduit à un résultat erroné. 
5 Qu’est‑ce qu’une erreur manifeste? Le Trésor de la langue française (1985) définit ainsi le mot « manifeste » :« . . . Qui est tout à fait évident, qui ne peut être contesté dans sa nature ou son existence. [. . .] erreur manifeste »(p. 317). Le Grand Robert de la langue française (2e éd. 2001) définit ce mot ainsi : « Dont l’existence ou la nature est évidente. [. . .] Qui est clairement, évidemment tel. [. . .] Erreur, injustice manifeste » (p. 1139). Enfin, le Grand Larousse de la langue française (1975) donne la définition suivante de « manifeste » : « . . . Se dit d’une chose que l’on ne peut contester, qui est tout à fait évidente : Une erreur manifeste » (p. 3213). 
6 L’élément commun de ces définitions est qu’une chose « manifeste » est une chose qui est « évidente ». Si l’on applique ce critère au présent pourvoi, il faut que l’« erreur manifeste et dominante » décelée par le juge Cameron soit évidente pour que la Cour d’appel de la Saskatchewan puisse infirmer la décision de la juge de première instance. Comme nous le verrons plus loin, nous ne croyons pas qu’on a satisfait à ce critère en l’espèce.
La Cour analyse ensuite les différents types de questions tranchées par un juge de première instance (droit, faits, inférences de faits et questions mixtes de faits et de droit). C'est ici que le jugement de la Cour ajoute un éclairage additionnel à la jurisprudence traditionnelle. En effet, la Cour indique qu'il faut étendre aux inférences factuelles la déférence à être donnée aux conclusions de première instance:
22 Deuxièmement, nous croyons en toute déférence qu’en faisant une distinction analytique entre les conclusions factuelles et les inférences factuelles, le passage précité pourrait amener les cours d’appel à soupeser la preuve à nouveau et sans raison. Bien que nous partagions l’opinion selon laquelle il est loisible à une cour d’appel de conclure qu’une inférence de fait tirée par le juge de première instance est manifestement erronée, nous tenons toutefois à faire la mise en garde suivante : lorsque des éléments de preuve étayent cette inférence, il sera difficile à une cour d’appel de conclure à l’existence d’une erreur manifeste et dominante. Comme nous l’avons dit précédemment, les tribunaux de première instance sont dans une position avantageuse pour apprécier et soupeser de vastes quantités d’éléments de preuve. Pour tirer une inférence factuelle, le juge de première instance doit passer les faits pertinents au crible, en apprécier la valeur probante et tirer une conclusion factuelle. En conséquence, lorsque cette conclusion est étayée par des éléments de preuve, modifier cette conclusion équivaut à modifier le poids accordé à ces éléments par le juge de première instance.  
23 Nous rappelons qu’il n’appartient pas aux cours d’appel de remettre en question le poids attribué aux différents éléments de preuve. Si aucune erreur manifeste et dominante n’est décelée en ce qui concerne les faits sur lesquels repose l’inférence du juge de première instance, ce n’est que lorsque le processus inférentiel lui‑même est manifestement erroné que la cour d’appel peut modifier la conclusion factuelle. La cour d’appel n’est pas habilitée à modifier une conclusion factuelle avec laquelle elle n’est pas d’accord, lorsque ce désaccord résulte d’une divergence d’opinion sur le poids à attribuer aux faits à la base de la conclusion. Comme nous le verrons plus loin, nous estimons en toute déférence que constitue un exemple de ce genre d’intervention inadmissible à l’égard d’une inférence de fait la conclusion de notre collègue selon laquelle la juge de première instance a commis une erreur en prêtant à la municipalité la connaissance du danger dans la présente affaire.
C'est ainsi que la Cour pose le principe voulant que toutes les questions reliées aux faits, conclusions ou inférences, sont régies par la même norme d'intervention (i.e. l'erreur manifeste et déterminante).
 
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/RuHTO5

Référence neutre: [2012] ABD Rétro 5

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