Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
En janvier dernier, j'attirais votre attention sur une décision de la Cour supérieure qui indiquait que l'article 168 (8) C.c.Q. permet à une partie de demander la communication de l'expertise de la partie adverse lorsqu'il est manifeste des allégations qu'elle a formulées qu'une telle expertise est déjà en sa possession. Grâce à un lecteur averti (qui n'a malheureusement pas laissé son nom dans la section commentaire), je reviens sur cette affaire ce matin pour souligner que la Cour d'appel a renversé la décision de première instance dans Desjardins Assurances générales inc. c. Groupe Ledor inc., mutuelle d'assurances (2014 QCCA 1501).
En première instance, présentant une demande en vertu de l'article 168 (8) C.p.c., l'Intimée demande qu'il soit ordonné à l'Appelante de produire immédiatement son expertise. En effet, l'Intimée plaide que les allégués de la requête introductive d'instance font clairement voir que l'Appelante est déjà en possession de son expertise et que celle-ci doit lui être communiquée puisque les allégations de la l'Appelante ne pourront être prouvée autrement.
L'Appelante conteste cette demande, faisant
valoir que l'article 168 (8) C.p.c. ne s'applique pas aux expertises. Après une revue des autorités pertinentes, le
juge de première instance est d'avis que l'article 168 (8) C.p.c. s'applique à toute pièce,
incluant donc les expertises et en ordonne la communication.
Dans une décision unanime rendue par les Honorables juges Gagnon, Bouchard et Gagnon, la Cour renverse le jugement de première instance. La Cour indique à cet égard qu'il faut déceler dans les allégations une renonciation au secret professionnel, ce qui n'est pas le cas en l'espèce:
[7] Le rapport en possession de l’appelante a été préparé à sa demande par un ingénieur soumis au Code des professions et au secret professionnel.
[8] Ce document a ensuite été transmis par l’appelante à son avocate en vue de la préparation du litige. À ce titre, il est donc visé par ce qu’il convient de nommer « le privilège relatif au litige », privilège reconnu par la Cour suprême qui permet à l’avocat de « […] préparer [ses] arguments en privé, sans ingérence de la partie adverse et sans crainte d’une communication prématurée. ».
[9] Comme le rapport en l’espèce bénéficie de l’immunité de divulgation sur la base du secret professionnel de l’ingénieur et du privilège relatif au litige, se pose la question de déterminer si l’appelante a renoncé à cette immunité, étant entendu que si une renonciation peut être tacite, elle doit néanmoins être volontaire, claire et évidente.
[10] Il est acquis au débat que l’appelante entend déposer une expertise, mais seulement après les interrogatoires après défense de manière à ce que son expert ait connaissance de l’ensemble des faits pertinents au litige. L’appelante n’a donc pas tort de soutenir qu’elle n’entend pas invoquer le rapport préliminaire qui est en sa possession.
[11] La Cour n’est pas non plus en présence d’un cas où une partie évite intentionnellement d’alléguer une pièce pour en retarder la communication jusqu’au moment de l’inscription. Quant au libellé des paragraphes 7, 8 et 9 de la requête introductive d’instance amendée, la Cour cherche en vain l’allégation claire et précise à laquelle réfère l’arrêt Legault c. Mahtani devant conduire à la conclusion selon laquelle l’appelante entend invoquer le rapport préliminaire en sa possession.
[12] L’intimée n’a donc pas droit à la communication de ce document, car l’appelante n’a pas renoncé à la confidentialité de celui-ci, et ce, même s’il est clair pour les parties qu’une expertise sera éventuellement déposée par l’appelante.
[13] L’intimée, de manière subsidiaire, si cette Cour conclut que le document en possession de l’appelante bénéficie de l’immunité de divulgation (ce qui est le cas), demande qu’il soit ordonné à cette dernière de communiquer le rapport final de son expert dans un délai de 60 jours de l’arrêt à intervenir. L’intimée veut ainsi pouvoir tenir ses propres interrogatoires et préparer sa défense en toute connaissance de cause alors que l’appelante, qui a pris presque trois ans avant d’intenter son recours, a eu amplement le temps de faire enquête et de peaufiner sa théorie de la cause : un article de fumeur déposé dans un bac à fleurs situé sur le balcon arrière du logement loué par Nicolas B. Huot.
Référence : [2014] ABD 379[14] De l’avis de la Cour, la question de savoir à quel moment l’appelante devra déposer son rapport d’expertise final relève de la Cour supérieure à l’occasion d’une audience de gestion visant à établir l’échéancier portant sur le déroulement de l’instance. Il n’y a donc pas lieu de faire droit à cette demande subsidiaire de l’intimée.
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