jeudi 18 septembre 2014

La place de la parodie au sein de la liberté d'expression

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

En juin 2013, nous avions discuté de la liberté de parodier comme facette de la liberté d'expression et de la décision rendue dans l'affaire Trudeau c. AD 4 Distribution Canada inc. (2013 QCCS 2678). Or, la Cour d'appel vient de rendre sa décision sur le pourvoi dans cette affaire, confirmant la place de la parodie dans la liberté d'expression. C'est pourquoi nous traitons ce matin de la décision rendue dans Trudeau c. AD4 Distribution Canada inc. (2014 QCCA 1740).
 

Cette affaire implique la production d'un film pornographique parodiant la policière maintenant bien connue sous l'appellation "matricule 728". Cette dernière demandait l'émission d'une injonction permanente pour bloquer la distribution dudit film alléguant une atteinte à son droit à la vie privée et le grand préjudice que cette distribution lui causerait.

En première instance, l'Honorable juge Hélène Le Bel rejette la requête introductive d'instance de la Demanderesse, soulignant que ni son nom, ni son image ne sont utilisés. Elle ajoute que la liberté d'expression protège le droit de critiquer via la caricature et la parodie:
[44] Il n’appartient pas aux tribunaux d’adjuger du mérite artistique ou du simple mérite de l’œuvre produite par AD4 ou de distinguer les mauvaises caricatures des bonnes ou de sanctionner les parodies qui seraient de mauvais goût.   
[45] Dans la sphère publique, la liberté d'expression autorise et permet la critique, le commentaire, le débat, la contestation, par des procédures ou des manifestations ou par l'humour ou la caricature ou la parodie, des faits et gestes de ceux qui nous gouvernent ou qui, comme les policiers, se trouvent en position d'autorité.  
[46] Le Tribunal conclut donc que, dans le présent cas, le recours de la demanderesse est mal fondé. Le présent cas est manifestement différent de ceux soumis à l'honorable Pierre Nollet qu'invoque la requérante. En effet, dans ces affaires, on avait fait fi des termes d'une entente pour publier la photo de jeunes femmes dans la page centrale d'un magazine pornographique. Il s'agissait purement et simplement de l'utilisation non autorisée de l'image de quelqu'un et la faute était aggravée par la nature de la publication.
Les Honorables juges Chamberland, Kasirer et Marcotte, dans un jugement unanime, viennent confirmer la décision de première instance et la place de la parodie au sein de la liberté d'expression dans la mesure où celle-ci se rattache à des aspects publics:
[21]        Comme la juge le note au paragraphe [45] du jugement entrepris, la liberté d’expression autorise la caricature ou la parodie d’un personnage public. Il est acquis que cette liberté connaît des limites et que la tâche du tribunal, en l’espèce, était de voir si la parodie portait indûment atteinte aux droits fondamentaux de l’appelante. Plus précisément, la juge devait déterminer si le droit des intimés de critiquer et de parodier a été exercé dans le respect de la dignité et de la vie privée de l’appelante. 
[22]        En tenant compte du fait que le film est une parodie d’un personnage public, la juge considère que les droits de l’appelante n’ont pas été brimés. On comprend des motifs de la juge que le faible lien entre l’appelante et le film, ainsi que le caractère farfelu de la parodie, font en sorte que sa vie privée et sa dignité ne sont pas compromises en l’espèce. Le citoyen ordinaire ne croirait pas que c’est l’appelante elle-même qui est dépeinte mais seulement une effigie d’elle qui se veut humoristique. Il ne s’agit certes pas ici d’un portrait réaliste ou sérieux de l’appelante. La caricature de sa vie de policière présentée dans cette parodie est tellement invraisemblable qu’elle ne peut diminuer sa réputation ou sa dignité aux yeux du public.  
[23]        En concluant ainsi, la juge n’exclut pas pour autant la protection de la vie privée ou de la dignité de l’appelante comme personnalité publique; elle ne fait que constater qu'il ne s'agit pas ici d'un cas où il y a lieu pour les tribunaux d'intervenir. 
[24]        Le deuxième moyen d’appel est donc sans fondement. 
[25]        Troisièmement, la juge se méprend-elle en décidant que le caractère pornographique du film ne constitue pas une atteinte au droit à la dignité de l’appelante? 
[26]        L’appelante soutient que la juge avait tort de traiter le film des intimés comme une caricature ou une parodie alors qu’il s’agit en fait de pornographie. Selon l’appelante, la caricature ou la parodie et la pornographie sont des catégories antinomiques. Contrairement aux dessins faits d’elle dans les journaux, le film, en raison de sa nature pornographique, ne pourrait être considéré comme une critique ou une parodie légitime de sa vie publique. Citant ce qu’elle qualifie d’une jurisprudence constante, elle plaide que le fait d’associer une personne, sans son consentement, à de la pornographie constitue en soi une atteinte à sa dignité et à son honneur. 
[27]        L’appelante n’a pas tort de soutenir que le droit à la caricature connaît des limites, dont le droit à la dignité et l’honneur des personnes qui en font l’objet. 
[28]          Toutefois, comme la juge le note au paragraphe [45] de ses motifs, il n’appartient pas aux tribunaux de distinguer les bonnes caricatures de celles qui sont de mauvais goût. 
[29]        La juge n’avait pas tort de conclure que le caractère pornographique du film ne l’excluait pas pour autant des genres tels la caricature ou la parodie.
Référence : [2014] ABD 373

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