dimanche 14 septembre 2014

Dimanches rétro: la pertinence de la communication des états financiers pour contrôler une réclamation pour perte de profits

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Dans le cadre de cette rubrique, nous avons déjà traité du fait que les états financiers d'une compagnie sont traités de manière un peu différente dans le cadre de la communication de la preuve. En effet, il faut démontrer un peu plus que la simple pertinence de ceux-ci, quoiqu'ils ne bénéficient d'aucun privilège particulier. Reste des circonstances dans lesquelles les communications des états financiers sera indéniablement pertinence. C'est le cas - comme l'illustre la décision de la Cour d'appel dans Pierre Giguère consultants inc. c. Pierre Landry électrique inc. (1997 CanLII 10793) - lorsque la partie demanderesse réclame des profits perdus.


L'Appelante se pourvoit dans cette affaire contre un jugement de première instance qui a accueilli l'objection à l'encontre de sa demande de communication des états financiers de l'Intimée.
 
L'Appelante fait valoir qu'elle se défend à l'encontre d'une réclamation en dommages pour perte de profits, de sorte que la communication des états financiers est pertinente pour contrôler le quantum de cette réclamation.
 
Un banc unanime composé des Honorables juges Rothman, Delisle et Robert donne raison à l'Appelante sur la question. En effet, bien que chaque contrat soit un cas d'espèce, il reste que les états financiers sont un moyen approprié de tester les assises de la réclamation pour perte de profit:
Dans le présent cas, la communication des états financiers requis constitue sûrement un moyen utile et approprié pour contrôler la réclamation de l'intimée pour perte de profits anticipés. Même si, comme l'a écrit la juge de première instance, chaque contrat [...] constitue un cas particulier, il n'en demeure pas moins que l'appelante a le droit de vérifier si le profit net réclamé par l'intimée comme étant celui qu'elle aurait tiré du contrat dont elle a été privée cadre avec les gains nets résultant de ses autres contrats. 
Dans Acier Mutual inc. c. Fertek inc. et autre, (C.A., 500-09-001589-902, le 6 mars 1996, les juges Gendreau, Baudouin et Deschamps), c'est la présence au dossier des états financiers de la partie demanderesse, qui a permis à la Cour de faire la part des choses entre la réclamation du profit escompté et la réalité. Le juge Baudouin y a écrit: 
... Les état financiers révèlent que le profit net de Fertek Inc. qui est spécialisée dans l'acier d'armature se situe aux environs de 3%, et ce, en étant généreux. Ce chiffre représente cependant le profit net de l'ensemble de l'entreprise et non celui qui a pu être réalisé sur un contrat particulier.  
...  
... Cet écart substantiel entre les prévisions et la réalité me semble affecter généralement les évaluations de ce témoin, sans compter que le contrat, si l'on retient les chiffres, aurait permis de dégager un profit de près de 15%, alors que ceux de l'ensemble de l'entreprise pour les années financières 1981 et 1982 ne se situent qu'entre 3.5% et 4%...  
... devant ces contradictions et surtout ces évidentes exagérations, et en l'absence de toute autre indication, j'estime que la méthode la plus sérieuse d'évaluation du dommage, soit le gain net qu'aurait pu générer l'ouvrage s'il avait été exécuté, consiste à reporter sur la valeur de la soumission le même profit que celui de l'ensemble des activités de l'entreprise pour les années 1981 et 1982, soit 3.75%. 
À l'audition, l'avocat de l'intimée a reconnu que les états financiers requis pourraient s'avérer des éléments pertinents de preuve lors du débat sur le fond, mais que leur présence ne rencontrait pas cet attribut au stade de l'interrogatoire avant défense. Ce que le juge LeBel a écrit dans Kruger inc. c. Kruger au sujet de la pertinence d'une question posée lors d'un interrogatoire avant défense s'applique aussi bien à la pertinence de la communication d'un document: 
On doit aussi retenir que le juge auquel une objection basée sur la pertinence est renvoyée doit faire preuve de prudence. Plus encore qu'au procès, il lui est difficile d'apprécier le lien de la question avec les allégations. Souvent la pertinence de la question préparatoire, qui aborde un problème de manière assez lointaine, voire même en masquant quelque peu son objectif réel, ne se comprendra que par le développement de l'interrogatoire, d'où la nécessité de ne pas arrêter celui-ci trop tôt ou trop brutalement. D'où aussi la nécessité de conserver dans certains cas l'autorisation sous réserve comme l'a fait à différentes reprises le premier juge. Si la question est permise sous réserve, le témoin supportera l'inconvénient de l'interrogatoire sur ce point. Cependant, pour le dossier, l'une de deux choses surviendra. Si l'interrogatoire n'est pas produit, la question n'aura pas d'importance au niveau du procès devant le juge, en dépit de son importance pour la préparation même du dossier. Si elle est utilisée, à ce moment, le juge du fond pourra la rejeter si elle lui paraît illégale ou non pertinente. La nécessité s'impose donc d'apprécier assez largement la notion de pertinence à ce niveau à condition que l'on puisse constater un lien avec les allégations de l'acte de procédure. 
À la lumière de tous ces arrêts, la Cour est d'avis qu'en l'espèce la communication des états financiers requis aurait dû être permise.
Référence : [2014] ABD Rétro 37

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