dimanche 31 août 2014

Dimanches rétro: les enseignements de la Cour d'appel sur la mitigation des dommages en matière d'exécution en nature

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Plus tôt cette semaine, j'attirais votre attention sur les principes applicables à la mitigation des dommages lorsque le remède recherché est l'exécution en nature. Cette décision se basait sur les enseignements de la Cour d'appel dans Groupe Cliffton Inc. c. Solutions Réseau d'Affaires Meta-4 Inc. (2003 CanLII 38062) de sorte que j'ai décidé d'en traiter dans le cadre de cette édition des Dimanches rétro.


Dans cette affaire, la Cour est saisie d'appels, principal et incident, d'un jugement qui a accueilli en partie la requête de la Requérante, accueilli en partie la contestation et la demande reconventionnelle de l'Intimée, résilié les baux à compter du 1er mai 2000 et condamné l'Intimée à payer à la Requérante quatre mois de loyer, plus les intérêts et l'indemnité additionnelle à compter de la date de signification de la requête.

Une des questions qui se pose dans le cadre des pourvois est celle de savoir si le locateur, qui demande l'exécution spécifique du bail, a quand même l'obligation de tenter de relouer les lieux devenus vacants pour ainsi réduire l'importance de sa perte.
 
Le locateur plaide que l'article 1479 C.c.Q. n'est pas applicable parce qu'il ne demande pas compensation pour un préjudice. Il en tire donc l'argument qu'il n'avait pas l'obligation de tenter de re-louer les lieux.
 
Au nom d'un banc unanime, l'Honorable juge Jacques Chamberland donne raison au locateur sur la première question, mais définitivement pas sur la deuxième. En effet, il indique que cela va à l'encontre des exigences de la bonne foi de simplement exiger l'exécution en nature sans faire quelque geste que ce soit pour minimiser ses dommages:
[24]           À mon avis, l'appelante a raison et tort en même temps. 
[25]           Elle a raison en ce que la règle posée à l'article 1479 C.c.Q. ne vaut que lorsque le créancier réclame la réparation d'un préjudice et ne vise que l'aggravation possible de celui-ci; en ce sens, il est juridiquement inexact d'étudier le présent dossier à la lumière de la règle posée par cet article du chapitre de la «responsabilité civile».   Par ailleurs, l'appelante a tort en ce que l'obligation d'agir de bonne foi (posée par les articles 6, 7 et 1375 C.c.Q. et dont l'obligation faite à la victime qu'elle tente de minimiser l'étendue de son préjudice n'est, en définitive, qu'une illustration dans le domaine de la responsabilité civile) vaut dans tous les domaines et qu'en matière de contrat de louage, cette obligation comprend certes, règle générale, celle de faire des efforts en vue de relouer des espaces locatifs devenus vacants.   L'obligation d'agir selon les exigences de la bonne foi s'applique à l'ensemble du droit privé.   En ce sens, le locateur qui ne fait absolument rien pour louer des espaces devenus vacants manque – sujet aux circonstances propres à chaque affaire – à cette obligation.   Le fait qu'il puisse, à son choix, demander la résiliation du bail ou en forcer l'exécution spécifique jusqu'à son terme, ne saurait occulter cette obligation. 
[26]           L'article 1375 C.c.Q. précise que la bonne foi doit gouverner la conduite des parties «tant au moment de la naissance de l'obligation, qu'à celui de son exécution ou de son extinction».   L'appelante plaide que l'obligation d'agir selon les exigences de la bonne foi ne peut pas aller jusqu'à exiger d'une partie à un contrat qu'elle aide l'autre partie à terminer la relation d'affaires.   L'appelante exagère.   Ce n'est pas de cela dont il s'agit ici.   Le reproche formulé par la juge de première instance concerne son manque de transparence envers l'intimée et son manque total et absolu d'effort en vue de relouer les cinq espaces devenus vacants.   Avec égards, je ne vois pas d'erreur de droit dans ce raisonnement. 
[27]           Quant à l'application de ces principes aux circonstances de l'espèce, je ne vois pas d'erreur dans l'appréciation qu'en a faite la juge de première instance.   De toute évidence, celle-ci n'a pas été impressionnée par l'attitude de Groupe Cliffton face à un locataire qui, dès la fin de l'automne 1999, tentait de trouver une solution au guêpier financier dans lequel il se trouvait.   Contrairement à ce qu'une lettre du 11 novembre 1999 laissait entendre, la solution proposée par Meta-4 n'a jamais été soumise ni au conseil d'administration de Groupe Cliffton, ni aux propriétaires des cinq centres commerciaux.   De plus, même à la date du procès – près de 18 mois après le retrait des guichets automatiques – l'appelante avouait n'avoir encore fait aucun effort pour tenter de relouer les espaces abandonnés par Meta-4.   La juge de première instance y a vu des signes de mauvaise foi de la part de Groupe Cliffton, qu'elle a sanctionnés en limitant le nombre de mois où le loyer était dû (février, mars et avril) et, par voie de conséquence, en résiliant les baux en date du 1er mai 2000.   D'aucuns estimeront que cette sanction est sévère mais, tout étant question de circonstances, je ne crois pas qu'il y ait lieu d'intervenir.   L'attitude d'ouverture manifestée par le locataire combinée au manque de transparence du mandataire des propriétaires, et à son absence totale d'effort en vue de tenter de relouer les espaces à d'autres, expliquent la décision de la juge de première instance sans qu'il y ait lieu, à mon avis, d'intervenir.  
[28]           Dans l'examen des circonstances entourant la manière dont les parties – et notamment le propriétaire – ont exercé leurs droits respectifs, il est pertinent de voir dans quelles circonstances les espaces sont devenus vacants.   Il y a une différence, à mon avis, entre la situation du locataire qui déguerpit des lieux, sans en aviser le propriétaire, et celle du locataire qui quitte les lieux après avoir avisé le propriétaire des problèmes qu'il vivait et l'avoir averti qu'à moins de trouver une solution à ces problèmes, il n'aurait d'autre choix que de quitter les lieux ou encore, de celle où le locataire continue d'occuper les lieux tout en ne payant pas le loyer.   En somme, l'obligation d'agir de bonne foi ne s'évalue pas dans l'abstrait mais plutôt in concreto, à la lumière des circonstances propres à chaque dossier.   De toute évidence, le locataire qui déguerpit est moins bien placé pour invoquer l'obligation d'agir de bonne foi du locateur que celui qui quitte les lieux après avoir approché le locateur en vue de trouver une solution aux problèmes que le bail lui faisait vivre.
Référence : [2014] ABD Retro 35

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