jeudi 28 août 2014

Lorsque le remède recherché est l'exécution en nature, le devoir de mitiger ses dommages naît de l'obligation d'agir de bonne foi et non de l'article 1479 C.c.Q.

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Contrairement à ce que plusieurs pourraient croire (incluant le soussigné jusqu'à ce que je lise la décision qui fait l'objet du présent billet!), l'obligation de mitiger ses dommages ne naît pas exclusivement de l'article 1479 C.c.Q. En effet, comme le souligne l'Honorable juge André Roy dans Second Placements inc. c. 9067-3856 Québec inc. (2014 QCCS 4079), l'article 1479 ne s'applique pas lorsque le remède recherché est l'exécution en nature, mais l'obligation d'agir de bonne foi impose quand même au créancier de minimiser ses dommages.
 

Dans cette affaire, la Demanderesse intente des procédures civiles contre la Défenderesse par laquelle elle réclame le montant de 188 087 $, représentant des arriérés de loyer accumulés depuis juin 2013 et d’autres sommes dues aux termes d’un bail liant les parties.
 
La Défenderesse conteste les procédures au motif qu’elle a payé le loyer jusqu’en juin 2013 pour un local qu’elle avait délaissé au cours de l’automne 2011 à la connaissance de la Demanderesse. Puisque cette dernière  se devait de mitiger ses dommages, elle ne peut lui réclamer des montants additionnels. 
 
Le juge Roy doit d'abord déterminer si l'article 1479 C.c.Q. trouve application en l'espèce. En effet, la partie qui demande l'exécution en nature ne recherche pas la "réparation d'un préjudice" de sorte que la question se pose.
 
Il en vient à la conclusion que l'article 1479 est inapplicable, mais que cela n'implique pas pour autant que la Demanderesse n'a pas d'obligation de mitiger ses dommages. Cette obligation existe non seulement en vertu de l'article 1479, mais également en vertu de l'obligation d' agir de bonne foi:
[30]        Cette disposition pose le postulat qu’un créancier a le devoir, lorsqu’il constate l’inexécution de l’obligation de son débiteur, de tenter d’atténuer autant que possible le préjudice qu’il subit. Il en découle qu’il ne pourra réclamer la partie des dommages qu’il a subie et qu’il aurait pu raisonnablement éviter en se comportant avec prudence, diligence et bonne foi. 
[31]        Bien qu’elle plaide que la demanderesse ait en tout état de cause l’obligation de mitiger ses dommages, qu’il s’agisse d’une clause pénale ou non, la défenderesse ne demande toutefois pas au Tribunal d’exercer la discrétion que lui confère l’article 1623 C.c.Q. et de réduire le montant de la peine stipulée à la clause 25.3 du bail au motif qu’il serait en présence d’une des circonstances qui y donne ouverture. 
[32]        À cet argument, la demanderesse rétorque que, en l’espèce, le devoir de mitigation ne s’applique pas car elle réclame aux termes d’une clause pénale stipulée à la clause 25.3 du bail. En pareil cas, plaide-t-elle, l’obligation de mitiger ses dommages n’est pas opposable au créancier. 
[33]        Le Tribunal a déjà décidé qu’à son avis, la demanderesse ne demande pas l’application d’une clause pénale contre la défenderesse, mais qu’elle a plutôt choisi de réclamer l’exécution en nature de toutes les obligations de cette dernière en vertu du bail, qu’il s’agisse de payer le loyer dû ou les autres frais qui y sont stipulés, et ce, jusqu’à son expiration. 
[34]        Et si, à l’instar du juge Chamberland dans l’arrêt Groupe Cliffton inc. de la Cour d’appel, on peut s’interroger à savoir si la règle posée à l’article 1479 C.c.Q. de mitigation des dommages trouve application dans un cas comme celui dont est saisi le Tribunal, l’obligation d’agir de bonne foi posée par les articles 6, 7 et 1375 C.c.Q., vaut dans tous les domaines, dont celui du louage de choses. L’obligation d’agir de bonne foi comprend certes celle de faire des efforts en vue de relouer les espaces locatifs délaissés. 
[35]        Il va sans dire que les efforts déployés par le créancier doivent être examinés à la lumière des circonstances propres à l’affaire à l’étude.  
[36]        Par conséquent, si on ne peut pas à proprement parler d’un devoir de mitigation des dommages échéant à la demanderesse, le Tribunal est d’avis qu’en exécution de son devoir d’agir selon les exigences de la bonne foi, elle avait l’obligation de faire des efforts raisonnables pour relouer les espaces devenus vacants.
Référence : [2014] ABD 343

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