Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
L'audition d'une demande de reconnaissance et exécution d'un jugement étranger n'est pas un forum pour remettre en question les conclusions factuelles du tribunal étranger ou généralement refaire le procès. En effet, les articles 3155 et 3158 C.c.Q. stipulent clairement que le rôle de la Cour doit se limiter à vérifier si les conditions relatives à la reconnaissance du jugement sont satisfaites. Cela est vrai même lorsque la Cour analyse la question de savoir si le tribunal étranger avait la compétence pour entendre le litige comme l'illustre l'affaire Jules Jordan Video inc. c. 144942 Canada inc. (2014 QCCS 3343).
Dans cette affaire, l'Honorable juge Louis J. Gouin est saisi d'une demande de reconnaissance et d'exécution d'un jugement californien. Les Intimés contestent cette demande pour une multitude de raisons, plaidant essentiellement que les conditions de l'article 3155 ne sont pas satisfaites et que le processus judiciaire californien les a traité de manière injuste.
Une des questions est celle de savoir si les tribunaux californiens étaient compétents pour entendre le litige (art. 3155 (1), 3168 C.c.Q.).
À ce chapitre, le juge Gouin n'hésite pas à conclure que c'est le cas. Il ajoute que la question de la juridiction des tribunaux californiens doit être décidée sur la base des conclusions factuelles de ces tribunaux puisqu'il ne revient pas aux tribunaux québécois de refaire l'enquête:
[56] Or, les DVDs, soit les «thirteen copyrighted adult DVDs owned by JJV or Gasper and featuring Gasper’s performances» faisant l’objet du Litige d’origine, lequel, le Tribunal le rappelle, est relié à une violation alléguée des droits d’auteur des Requérants selon le droit américain, ont été vendus dans l’état de la Californie, et ce fait dommageable y a causé un préjudice.
[57] Il s’agit d’une application de l’article 3168(3) C.c.Q., et aussi une illustration de l’existence d’un lien important, au sens de l’article 3164 C.c.Q., entre le Litige d’origine et la Cour de district qui a rendu le Jugement Otero 2.
[58] Les Intimés ne pouvaient pas ne pas savoir que les DVDs se retrouveraient éventuellement dans l’état de la Californie, même si la vente directe à cet endroit n’était pas effectuée par eux.
[59] D’ailleurs, voici ce qu’écrit la Cour de district dans le Jugement sur la juridiction, lequel faisait suite à la «Motion to dismiss for lack of personal jurisdiction» présentée par M. Elmaleh :
«[…] Similarly, by allegedly directing the counterfeiting of Plaintiffs’ DVDs, Elmaleh should have known his actions would injure Plaintiffs in this forum; as such, this weighs towards the exercise of jurisdiction.
Also, Elmaleh allegedly oversaw the importation of at least several hundred counterfeit DVDs into California. […] The sheer number of products shipped directly to California, coupled with those that made their way to California through the supply chain, also weighs towards the exercise of jurisdiction.
The extent of Elmaleh’s purposeful interjection into California is such that it supports the exercise of personal jurisdiction over him.»
[60] M. Elmaleh a été en mesure d’expliquer de long en large à la Cour de district ses prétentions quant à l’absence de juridiction de cette cour, y inclus l’existence même de la Facture, mais elles ne furent pas retenues par la Cour de district :
«Weighing all the prongs of the ‘’reasonableness’’ analysis, the Court finds that subjecting Elmaleh to personal jurisdiction in the Central District comports with ‘’fair play and substantial justice.’’ Elmaleh is charged with violations that allegedly occurred, in part, in California, while transacting business with individuals in California. Elmaleh is also alleged to have a central role in a scheme to counterfeit Plaintiffs’ products which were created in California. California has a great interest in adjudicating this dispute, provides the most efficient forum for resolution of the controversy, is important to Plaintiffs’ interest in convenient and effective relief, and exercising jurisdiction here does not conflict with Canada’s sovereignty. Although litigating before this Court places some burden on Elmaleh, it is not so much as to outweigh these other considerations.
Therefore, all three prongs of the specific jurisdiction test are satisfied, and the exercise of specific jurisdiction over Elmaleh by this Court is proper.»
Commentaire:[61] Le Tribunal n’est pas en appel du Jugement sur la juridiction, et n’a pas à refaire le procès de l’existence ou pas de la Facture, ce sur quoi se sont acharnés les Intimés.
À la lumière des faits énoncés dans le jugement, je ne vois aucune raison de remettre la conclusion de juge Gouin en question. En effet, on peut difficilement concevoir que les tribunaux californiens n'auraient pas eu juridiction.
Cependant, et bien que cela ne change en rien les conclusions du jugement, je dois indiquer que je suis en désaccord avec un commentaire supplémentaire fait par le juge Gouin. En effet, aux paragraphes 64 et 65, il ajoute ce qui suit:
[64] Par ailleurs, le Tribunal est interpellé par le nombre de procédures que les Intimés ont déposé dans le cadre du Litige d’origine, sur une période de plus de 7 ans, et ce, jusqu’à la Cour suprême des É.U.
[65] Ceci illustre bien qu’ils ont reconnu, d’une certaine façon, la compétence de l’état de la Californie, au sens de l’article 3168(6) C.c.Q., et qu’ils ont tout fait pour faire valoir leurs droits dans l’état de la Californie.
Dans la mesure où une partie a contesté la juridiction d'un tribunal étranger et perdu ce débat (ce qui a été le cas ici), je suis d'avis que l'on ne peut conclure à une reconnaissance de la juridiction du tribunal étranger en raison des procédures subséquentes prises devant le tribunal étranger. À partir du moment où les tribunaux californiens se sont déclarés compétents, il est tout à fait normal que les Intimés aient déposés des procédures devant ses tribunaux pour se défendre sans que l'on puisse y voir une reconnaissance de juridiction. Le nombre disproportionné de procédures, le cas échéant, ne me semble pas un facteur pertinent.
À cet égard, je suis d'avis que le principe appliqué pour savoir si une partie a reconnu la juridiction des tribunaux québécois doit recevoir application et que l'on doit conclure qu'il ne peut y avoir reconnaissance lorsque la juridiction est contestée.
Référence : [2014] ABD 283
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