lundi 21 juillet 2014

Les critères de distinction entre l'employé et le travailleur autonome

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Ce n'est pas la première fois que nous traitons de la distinction entre l'employé et le prestataire de services pour la simple et bonne raison que la question est d'une grande importance. C'est pourquoi nous attirons cet après-midi votre attention sur l'affaire Agence Océanica inc. c. Agence du revenu du Québec (2014 QCCA 1385) dans laquelle l'Honorable juge France Thibault discute des distinctions entre le lien d'emploi et le travailleur autonome.
 

Dans cette affaire,  l'Appelante se pourvoit contre un jugement qui a rejeté ses avis d’appel déposés à l’encontre de deux avis de cotisation établis par l’Intimée pour les années d’imposition 2007 et 2008.
 
L'Appelante exploite depuis 2002 une agence de placement de personnel infirmier. Elle cible ses clients dans le milieu hospitalier : hôpitaux, centres d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) et centres locaux de services communautaires (CLSC). Le noeud du débat est celui de savoir si personnes recrutées par l'Appelante pour travailler chez ses clients sont des travailleurs autonomes ou des employés.
 
L'Appelante fait valoir que ces personnes ne sont pas des employés de sorte qu'elle n'avait pas à faire les paiements fiscaux afférents aux employés.
 
Malheureusement pour elle, la juge Thibault, au nom d'un banc unanime, en vient à la conclusion que le jugement de première instance est bien fondé sur la question. Elle note que la caractéristique principale du droit d'emploi est celle du lien de subordination. Or, en l'instance, elle est d'avis que ce lien existe:
[29]        L’appelante prétend que l’infirmière placée par elle chez un client est un travailleur autonome. Les travailleurs autonomes sont « à leur compte et offrent une prestation de travail à leur client dans le cadre d’une relation quasi intuitu personae. Ces derniers n’ont aucun salarié à leur service et travaillent souvent pour un seul client ». La notion de travailleur autonome existe dans certaines lois (par exemple, la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles), mais elle ne se trouve pas comme telle dans la Loi sur les impôts. C’est donc la notion de contrat de service prévue au Code civil (et la jurisprudence qui en découle) qui s’applique pour déterminer si une personne est un travailleur autonome, par opposition à un employé au sens de la Loi sur les impôts. 
[30]        Dans son bulletin d’information, l’intimée identifie six critères qui guident la caractérisation du statut d’un travailleur, soit la subordination effective dans le travail, le critère économique ou financier, la propriété des outils, l’intégration des travaux effectués, le résultat particulier du travail et l’attitude des parties quant à leur relation d’affaires. La subordination effective, traduite par le degré de contrôle exercé sur la prestation de travail, est considérée comme le critère le plus important. Ces critères constituent des énoncés de la position administrative de l’intimée et ils ne lient pas la Cour. 
[31]        Luc Deshaies et Josée Gervais discutent du lien de subordination : 
Le lien de subordination pourra généralement être établi si l’employeur a la faculté de déterminer le travail à exécuter, s’il peut encadrer cette exécution et la contrôler. Il doit exister un lien d’autorité exercé de manière concrète par l’employeur sur l’employé. L’existence d’un lien de subordination est en somme une question de fait et reposera sur différents éléments, notamment la présence obligatoire à un lieu de travail, l’affectation régulière du travail, l’imposition de règles de conduite ou de comportement, le contrôle de la qualité, de la prestation, etc.  
En règle générale, en vertu d’un contrat de travail, une personne est employée en tant que partie d’une entreprise et son travail fait partie intégrante de l’entreprise, alors que selon un contrat d’entreprise ou de service, son travail, bien qu’il soit fait pour l’entreprise, n’y est pas intégré : il est plutôt accessoire. […]
[32]        Dans Le droit de l’emploi au Québec, les auteurs définissent ainsi la prestation du salarié :  
La prestation du salarié consiste principalement, avons-nous vu, en sa disponibilité professionnelle offerte dans le cadre temporel convenu : le salarié ne peut généralement choisir à sa seule convenance le rythme, la cadence et le lieu d’exécution de son travail ». 
[33]        Dans Dicom Express inc. c. Paiement, la Cour devait déterminer si un messager d’une société de messagerie était un entrepreneur ou un salarié. La Cour affirme : 
[15] […] Ce qui constitue le trait distinctif du contrat de travail, et le distingue du contrat de service, est cette caractéristique suivant laquelle l'exécution du travail du salarié est subordonnée au contrôle et à la direction d'un employeur.  
[…]  
[17] La notion de subordination juridique contient l’idée d’une dépendance hiérarchique, ce qui inclut le pouvoir de donner des ordres et des directives, de contrôler l’exécution du travail et de sanctionner les manquements. [...] L’examen de chaque situation reste individuel et l’analyse doit être faite dans une perspective globale. 
[34]        Malgré l’affirmation de l’appelante, la personne recommandée à un client n’effectue pas son travail à sa guise. Elle peut certes accepter ou non un placement, mais lorsqu’elle l’accepte, elle doit se plier strictement à l’horaire fixé par le client. Elle est complètement intégrée dans la structure organisationnelle du client en ce sens qu’elle remplace une salariée qui s’intègre elle-même dans cette structure. Les rapports hiérarchiques sont maintenus et les protocoles de soins, respectés. 
[35]        Le prestataire de service a le libre choix des moyens d’exécution du contrat ainsi que du rythme d’exécution. Ici, l'infirmière ne peut pas décider unilatéralement de s’occuper ou non du patient qui lui est assigné. Elle ne peut pas non plus décider unilatéralement de traiter ce patient de la manière où elle l’entend. Elle ne peut pas non plus décider unilatéralement de lui prodiguer des soins dans le délai qu’elle choisit. Ses tâches sont dictées par les décisions du client et les protocoles adoptés par ce dernier. Le travail de l'infirmière est aussi sujet à évaluation, car si le client n’est pas satisfait de sa prestation de travail, il cessera de faire appel à elle. L'argumentation de l’appelante selon laquelle aucun contrôle n’est exercé sur la qualité de la prestation de travail de l'infirmière est contredite par la présence d’un chef de service et par la structure hiérarchique décrite par les témoins. 
[36]        L'infirmière n'utilise pas les crayons, les stéthoscopes et les appareils à pression du client. Elle paie son uniforme. Cependant, tous les appareils requis par son travail, et qui nécessitent un investissement plus important, incluant les fournitures médicales tels les médicaments, les solutés, les seringues, les pansements, etc. sont mis à sa disposition par le client. 
[37]        La chance de profit et le risque de perte sont inexistants. L’appelante prétend que la faculté pour l'infirmière d’accepter ou de refuser un placement emporte l’existence d’une chance de profit ou d’un risque de perte. Elle se fonde sur Precision Gutters Ltd. v. Canada (Minister of National Revenue). Cette affaire diffère de la présente situation. Les poseurs de gouttières étaient payés suivant le nombre de pieds carrés posés et ils prenaient un réel risque financier lorsqu’ils acceptaient ou refusaient un contrat. En l'espèce, si l'infirmière accepte le placement, elle n'encourt aucun risque financier, étant rémunérée selon un taux horaire convenu et le nombre d'heures travaillées. 
[38]        La personne recommandée par l’appelante est un salarié parce qu’elle effectue son travail sous la direction et le contrôle d’une entité. Les sources de droit applicables – texte législatif, jurisprudence et doctrine – sont unidirectionnelles. Les facteurs de l'intégration complète d'une personne dans la structure organisationnelle du client tant au point de vue hiérarchique, des protocoles de soins à observer, de l'assignation du travail, de l'horaire de travail, de l'évaluation du travail, etc. permettent de conclure à l'existence d'un contrat de travail. De plus, les éléments caractéristiques du contrat de service – libre choix des moyens d'exécution, du rythme d'exécution, risque de perte et chance de profit, etc. – sont absents.
Référence : [2014] ABD 288

3 commentaires:

  1. Merci Karim. Toujours bon de relire ces principes ... Bonne décision

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  2. Bonsoir karim je m'appelle Gina, je voudrais savoir si j'ai le droit de déposer une plainte contre mon ex-employeur qui m'a fait signé un contrat de travailleuse autonome alors que j'étais employée

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