Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Si le législateur prévoit que l'acheteur qui découvre un vice caché doit le dénoncer par écrit au vendeur, il ne prévoit aucun délai précis pour se faire, se contentant de parler d'un délai raisonnable. La question se pose donc de savoir ce qui constitue un délai raisonnable. La Cour d'appel nous offre déjà une excellente piste de réponse plutôt cette année alors qu'elle indiquait que le rejet du recours pour défaut de dénonciation ne pouvait avoir lieu que lorsque ce défaut cause un préjudice important au vendeur. C'est dans cette même veine que la Cour supérieure en venait à la conclusion, dans Leblanc c. Dupuy (2014 QCCS 3226), que le délai déraisonnable est celui qui cause un préjudice réel au vendeur.
Dans cette affaire, le Demandeur, propriétaire de deux immeubles multi-résidentiels acquis il y a plus de 30 ans, réclame du vendeur antérieur de ces immeubles des dommages en raison de la pyrite dans les matériaux de remblai des fondations.
Le Défendeur invoque une multitude de moyens de défense à l'encontre de l'action, dont l'absence de dénonciation écrite du vice caché par le Demandeur à l'intérieur d'un délai raisonnable. En effet, le Défendeur fait valoir que le délai de 11 mois entre la découverte de la pyrite et la dénonciation de ce vice au Défendeur n'est pas raisonnable au sens de l'article 1739 C.c.Q.
L'Honorable juge Christian J. Brossard est chargé d'étudier la question. Il note à cet égard que bien que certains auteurs ont proposé un délai de 6 mois comme étant raisonnable et tout délai plus important devant être justifié, les tribunaux ont résisté à la tentation de fixer un délai spécifique, tout comme le législateur d'ailleurs.
S'inspirant de la jurisprudence récente, dont la décision de la Cour d'appel mentionnée en introduction du présent billet, le juge Brossard en vient à la conclusion que le délai déraisonnable est celui qui cause un préjudice réel au vendeur:
[111] Certes, l’auteur Jeffrey Edwards, maintenant juge à la Cour du Québec, s’appuyant sur une jurisprudence plutôt constante, propose un délai « de base » de six mois dans le cas d’un immeuble, lequel ne pourrait être prolongé qu’en présence de motifs qui justifient l’inaction de l’acheteur à l’intérieur du délai de base. Une telle approche aurait l’avantage de minimiser l’incertitude inhérente à l’évaluation du caractère raisonnable et d’accroître la stabilité contractuelle de la vente.
[112] Toutefois, d’autres auteurs mettent plutôt l’emphase sur l’atteinte de l’objectif recherché par la dénonciation, à savoir permettre au vendeur de constater la nature et l’étendue du vice et, le cas échéant, d’y remédier avant que l’acheteur modifie l’état du bien et procède lui-même aux réparations. Le professeur Jobin le présente ainsi :
La raison d’être de ce préavis est de permettre au vendeur de vérifier s’il s’agit bien d’un vice couvert par la garantie, de constater les dommages causés le cas échéant, et, s’il y a lieu, d’effectuer la réparation ou le remplacement du bien à un coût inférieur à celui d’un tiers engagé par l’acheteur. […] l’exigence d’un préavis, selon nous, entraîne comme corollaire le droit du vendeur de remédier au vice avant que des sanctions ne soient prises contre lui. […] (Le soulignement est ajouté.)
[113] Selon le professeur Jobin, la possibilité qu’a le vendeur de remédier à son défaut favorise ainsi la stabilité contractuelle, puisqu’elle évite dans bien des cas la résolution de la vente.
[114] Le fait est que le législateur ne prévoit pas un délai fixe à l’intérieur duquel l’acheteur doit dénoncer le vice, qu’il s’agisse d’un délai de rigueur ou même simplement d’une règle générale susceptible d’exceptions lorsque les circonstances le justifient. Tout au plus peut-on parler d’une balise ou d’un repère fixé à six mois par la jurisprudence.
[115] Donc, la détermination du caractère raisonnable demeure une question d’appréciation au cas par cas et les tribunaux demeurent souverains dans cette appréciation. Cette détermination doit tenir compte de l’ensemble des circonstances.
[116] Au nombre des circonstances que le juge doit considérer est l’atteinte ou non de l’objectif recherché, à savoir permettre au vendeur de vérifier s’il y a effectivement présence d’un vice couvert par la garantie légale, en apprécier l’ampleur et évaluer les mesures correctives possibles, s’il en est. Pour ce faire, l’acheteur ne doit pas avoir commencé à modifier l’état des lieux et à corriger le vice.
[117] Ainsi, dans Facchini c. Coppola, la Cour d’appel enseigne que le recours ne devrait pas être rejeté si le but de la dénonciation est atteint :
[43] En effet, la dénonciation prévue à l'article 1739 C.c.Q. doit être envoyée avant l'exécution des travaux corrigeant le vice caché. Selon une décision récente de notre Cour, dans l'affaire Argayova c. Fernandez, le but de la dénonciation est atteint lorsque le vendeur est informé d'un vice avant les travaux et lorsqu'il a eu l'occasion de vérifier la nécessité et le coût de ceux-ci. L'absence d'une dénonciation entraîne le rejet du recours lorsque l'omission prive le vendeur de la possibilité de vérifier l'existence du vice et de la réparer. (références omises) (Le soulignement est ajouté.)
[118] Le professeur Jobin approuve une telle approche :
[…] on a décidé, avec raison selon nous, que la sanction devrait être radicale (rejet de l’action) uniquement lorsque l’omission du préavis a privé le vendeur de la possibilité de vérifier l’existence et la gravité du vice et de le réparer; qu’une simple diminution des dommages-intérêts ou un ajustement à la baisse de la réduction du prix conviendrait mieux aux cas où le défaut de préavis a simplement privé le vendeur de la possibilité de réparer lui-même le vice à meilleur compte. (Le soulignement est ajouté.)
[119] Mais il y a plus. Dans un arrêt récent, Claude Joyal inc. c. CNH Canada Ltd., la Cour d’appel, sous la plume du juge Dalphond, analyse les conditions et finalités de la dénonciation et conclut qu’afin de pouvoir justifier l’irrecevabilité du recours intenté par l’acheteur, les conséquences du défaut de dénonciation dans un délai raisonnable doivent correspondre à un préjudice réel pour le vendeur, et non à un simple préjudice de droit, afin de pouvoir justifier l’irrecevabilité du recours intenté par l’acheteur.
Référence : [2014] ABD 291[120] Le juge doit donc s’assurer de l’existence d’un préjudice réel pour le vendeur avant de rejeter le recours de l’acheteur faute d’avoir dénoncé le vice dans un délai raisonnable de sa découverte.
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