Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
La tenue de plusieurs commissions d'enquête récentes, dont la Commission Charbonneau présentement, a amené à l'avant-plan certaines questions ayant trait à la recevabilité en preuve des éléments recueillis dans le cadre d'une telle commission. Dans Construction DJL inc. c. Conex Construction routière inc. (2014 QCCS 3437), l'Honorable juge Stephen W. Hamilton doit traiter de la question de savoir si une partie peut produire comme pièce la transcription de certains témoignages tenus dans le cadre de la Commission Charbonneau.
Dans cette affaire, la Défenderesse/Demanderesse en garantie cherche à amender sa défense/requête introductive d'instance en garantie. Parmi les ajouts projetés sont les transcriptions de certaines parties du témoignage de quelques personnes devant la Commission Charbonneau.
La Demanderesse principale et la Défenderesse en garantie conteste ces ajouts. Elle font valoir qu'il s'agit de ouï-dire et que la preuve recueillie dans une commission d'enquête est généralement inadmissible dans un dossier civil.
Le juge Hamilton, après analyse, se range derrière la position de la Demanderesse principale et la Défenderesse en garantie à l'effet qu'il s'agit de ouï-dire inadmissible à ce stade (et probablement à tous les stades) en ce qui a trait au témoignage devant la commission d'un tiers:
[21] Zambito est un tiers dans le présent litige. L’Unique veut déposer son témoignage devant la Commission Charbonneau pour faire preuve des faits au sujet desquels il a témoigné. DJL et la ville ont raison de plaider que c’est du ouï-dire.
[22] L’Unique plaide que la transcription du témoignage de Zambito pourra être déposée en vertu de l’article 2873 C.c.Q. qui permet la preuve d’une déclaration consignée dans un écrit par le dépôt de l’écrit. Cet argument ne tient pas compte de la distinction entre la preuve d’une déclaration et son admissibilité. L’article 2873 C.c.Q., tout comme les articles 2872 et 2874 C.c.Q., ne porte que sur la façon de prouver une déclaration et non sur son admissibilité. Les règles sur l’admissibilité se retrouvent aux articles 2869 à 2871 C.c.Q., dont notamment l’article 2870 C.c.Q.
[23] L’article 2870 C.c.Q. permet l’admission en preuve de la déclaration extrajudiciaire d’un tiers sur autorisation du tribunal et à condition que :
1. il est impossible d'obtenir la comparution du tiers comme témoin, ou déraisonnable de l'exiger;
2. les circonstances entourant la déclaration donnent à celle-ci des garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s'y fier; et
3. la déclaration porte sur des faits au sujet desquels le tiers aurait pu légalement témoigner.
[24] Il semble à tout le moins improbable que L’Unique pourra faire cette démonstration :
1. Zambito est, à ce jour, disponible pour témoigner dans le présent dossier;
2. vu les règles limitant les contre-interrogatoires à la Commission, il n’y a pas de garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s’y fier; et
3. vu les règles sur l’admissibilité de la preuve devant la Commission, le témoignage inclut du ouï-dire et autres matières sur lesquelles Zambito n’aurait pas pu témoigner en cour.
[25] Le juge Hébert a fait face à une question très semblable dans le dossier Canada (Procureur Général) c. Brault, où les défendeurs demandaient la radiation des paragraphes référant aux témoignages de tiers devant la Commission Gomery et des pièces afférentes. Le juge Hébert a reconnu qu’il appartient au juge du procès à traiter des questions d’administration de la preuve, mais il conclut comme suit :
[67] Pour éviter un encombrement exagéré du dossier, le tribunal conclut qu’il est inapproprié de conserver au dossier tous ces extraits de témoignages rendus devant la Commission Gomery par divers témoins qui ne sont ni défendeurs, ni représentants autorisés des défenderesses, le tout sous réserve des droits du Procureur général de les invoquer au procès si les circonstances s’y prêtent; d’autre part, les défendeurs et défenderesses, s’ils devaient faire face à cette situation au procès, seront malvenus d’invoquer qu’ils sont pris par surprise puisque tous ces extraits de témoignages sont déjà à leur disposition.
(nous soulignons)
[26] De plus, le témoignage de Zambito n’est pas un fait qui doit être allégué dans une procédure. Le fait qui doit être allégué et prouvé est la corruption, et le témoignage de Zambito n’est qu’un moyen de le prouver.
[27] En conséquence, le Tribunal n’autorise pas l’ajout du paragraphe 4.5 de la défense ou de la pièce D-2, ou des références à Zambito ou aux extraits de son témoignage à la Commission Charbonneau aux paragraphes 4.7, 4.8 et 4.14 de la défense et au paragraphe 12.10 du recours en garantie.
Pour le juge Hamilton, la solution est cependant différente à l'égard du deuxième témoin pour lequel on veut produire des extraits de transcription. En effet, celui-ci est un proposé de la ville Défenderesse en garantie de sorte que l'on peut alléguer un aveu extrajudiciaire:
[29] Il était ingénieur de la ville et donc son témoignage peut constituer un aveu extrajudiciaire de la ville (« L’aveu fait par une partie au litige, ou par un mandataire autorisé à cette fin» ) même si Surprenant agissait de façon illégale ou non autorisée (« Le préposé de l'État ou d'une personne morale de droit public ne cesse pas d'agir dans l'exécution de ses fonctions du seul fait qu'il commet un acte illégal, hors de sa compétence ou non autorisé » ).
[30] L’aveu extrajudiciaire est un fait et doit donc être allégué. En conséquence, il est approprié de permettre les amendements dans lesquels L’Unique allègue le témoignage de Surprenant. Le juge Hébert en est arrivé à la même conclusion dans le dossier Brault, où il refuse de radier les paragraphes qu’il considère comme des allégations d’aveux extrajudiciaires.
Référence : [2014] ABD 292
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