jeudi 24 juillet 2014

Dans certaines circonstances exceptionnelles, même des personnes qui ne sont pas partie à une clause compromissoire peuvent être forcées de procéder devant un arbitre

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

La question de savoir si l'on peut forcer des personnes qui ne sont pas partie à une convention d'arbitrage à participer à celui-ci lorsque leur présence est nécessaire à la solution complète du litige est complexe. En principe bien sûr la convention d'arbitrage ne lie que les parties qui l'ont signée de sorte que l'on ne pourrait renvoyer un dossier à l'arbitrage lorsqu'une des parties à celui-ci n'est pas partie à la clause d'arbitrage, mais ces principes ne sont plus aussi absolus qu'ils ne l'ont déjà été. Ainsi, des circonstances particulières peuvent justifier un renvoi à l'arbitrage de parties non signataires à l'arbitrage comme le souligne l'Honorable juge Suzanne Mireault dans 9171-5607 Québec inc. (Écocentre Val-Bio) c. Graymont (Québec) inc. (2014 QCCS 3441).
 

Dans cette affaire, les Demandeurs intentent une action en dommages contre la Défenderesse dans laquelle ils réclament des dommages-intérêts totalisant 841 083$, invoquant le non-respect d’une convention d’approvisionnement en biomasse.
 
La Défenderesse, alléguant la présence d'une clause compromissoire dans l'entente pertinente, demande le renvoi du litige à l'arbitrage.
 
En contestation de cette requête, les Demandeurs plaident que ce renvoi est impossible puisque deux d'entre eux ne sont pas parties à la convention qui contient la clause d'arbitrage et ne peuvent donc pas être forcés de procéder devant un arbitre.
 
Pour l'Honorable juge Suzanne Mireault - saisie de la requête - les circonstances particulières de ce dossier militent en faveur d'une conclusion autre. En effet, elle note que les Demandeurs physiques ont préalablement requis, au nom de la Demanderesse, le renvoi à l'arbitrage. Qui plus est, ils sont les actionnaires et administrateurs de la compagnie Demanderesse:
[33]        G. Fontaine et J. Des Rosiers n’ont effectivement pas signé, à titre personnel, la convention d’approvisionnement. 
[34]        Néanmoins, ils ont dûment requis, pour 9171, le renvoi à l’arbitrage dans leur missive datée du 15 novembre 2010. 
[35]        Le tribunal en conclut donc qu’ils sont fort malvenus aujourd’hui de prétendre que, n’étant pas personnellement signataires de la clause d’arbitrage, l’arbitre n’a pas juridiction. 
[36]        Là-dessus, l’arrêt Décarel inc. c. Concordia Project Management Ltd., explique que : 
"…  
Notre Cour, en 1987, dans Watson Computer Products c. 136067 Canada Inc. et Quality Micro Systems Inc., … a statué que l’assignation solidaire de deux défendeurs dont l’un est partie à une clause compromissoire avec le demandeur et l’autre pas, interdit que la Cour supérieure défère le litige à l’arbitre, ce qui aurait pour effet d’imposer l’arbitrage à celui qui n’en a pas convenu et ne saurait se le voir imposer.  
Mais notre Cour a, depuis ce temps, singulièrement libéralisé les principes en la matière …  De fait, on peut déceler une tendance à examiner chaque cas comme un cas d’espèce.  …  
Bref, à chaque cas ses circonstances particulières.  
Or, ici, Concordia Project Management et Décarel inc. ont convenu d’une clause compromissoire.  Décarel inc., personne morale, n’a pu en convenir et n’en a convenu que par l’expression de la volonté de ses principaux actionnaires et dirigeants, Chiniara et Salicco.  Dit autrement, ceux-ci ont exprimé leur volonté que tout litige soit résolu par arbitrage.  Qui plus est, ils se sont désignés comme administrateurs de la co-entreprise pour le compte de Décarel.  C’est donc dire qu’en principe et en pratique, tout litige survenant entre les deux personnes morales ne pouvait avoir pour source que le comportement et les agissements de Chiniara et Salicco et toute décision, qu’il s’agisse d’un jugement de Cour ou d’une sentence d’arbitre, ne pouvait porter, en ce qui a trait à Décarel, que sur la conduite de Chiniara et Salicco.  Écarter l’application de la clause compromissoire en pareilles circonstances au motif qu’elle ne concerne que les personnes morales serait, du moins à mon avis, un non-sens fondé sur une technicité aveugle et sciemment ignorante des circonstances particulières de l’affaire et cela, quoi qu’il en soit du voile corporatif en d’autres contextes.  …  
Ainsi donc, m’inspirant du propos de notre collègue Rothman, j’estime que les circonstances du cas imposent que tous les intéressés se retrouvent devant l’arbitre, en application de la clause compromissoire à laquelle ont présidé ceux qui cherchent aujourd’hui à s’y soustraire et je suis donc d’avis de rejeter le pourvoi, avec dépens.  
…" 
[37]        Compte tenu de ce qui précède, cet argument est écarté.
Référence : [2014] ABD 294

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