dimanche 1 juin 2014

Dimanches rétro: la possibilité pour un tribunal d'appel d'intervenir sur une question factuelle lorsque le juge de première instance a analysé la preuve sous un prisme déformant

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

La norme d'intervention en appel sur des questions factuelles est bien connue. Il faut essentiellement démontrer l'existence d'une erreur manifeste et dominante, ce qui - sans être impossible - est très difficile. Un des cas où les tribunaux d'appel accepteront d'intervenir sur une question factuelle est lorsque le juge de première instance a analysé la preuve sous un prisme déformant comme le soulignait l'affaire Ford du Canada ltée c. Automobiles Duclos inc. (2007 QCCA 1541).
 

Dans cette affaire, la Cour est saisie de l'appel d'un jugement qui a accueilli en partie la demande d'injonction de l'Intimée, annulé l'avis de résiliation de l'Appelante et condamné cette dernière à verser plusieurs millions de dollars en dommages.
 
Dans le cadre de son pourvoi, l'Appelante attaque plusieurs conclusions factuelles du juge de première instance.
 
Le banc unanime de la Cour composé des Honorables juges Nuss, Dalphond et Dufresne, après avoir rappelé le fardeau exigeant qui pèse sur l'Appelante, indique qu'une intervention sur les conclusions factuelles est appropriée en l'instance parce que le juge de première instance a analysé la preuve à travers un prisme déformant:
[128]      En effet, le haut degré de déférence due au juge de première instance en matière d'évaluation de la preuve, principe maintes fois énoncé par la Cour suprême, ne peut faire obstacle à l'intervention d'une cour d'appel lorsqu'une analyse du dossier révèle que l'évaluation du juge de première instance s'est faite à travers un prisme qui doit être écarté et qui a clairement eu un effet déformant. 
[129]      Les motifs du jugement font voir que l'insistance du juge de première instance à qualifier, à maints égards, d'abusive la conduite de Ford a clairement influencé, sinon orienté, son analyse du dossier en particulier des réclamations comportant des travaux non effectués. Il en résulte une sorte de « tunnel vision » pour reprendre une expression souvent utilisée dans les dossiers criminels. Une telle analyse ne peut qu'être entachée d'une erreur manifeste puisque les abus décriés n'existent pas ou, selon le cas, n’ont pas la portée que leur attribue le juge de première instance. 
[130]      L'effet de cette erreur est par ailleurs déterminant sur le sort de l'affaire comme l'indique le paragr. 433 du jugement entrepris :  
[433]  Ces éléments pris dans leur ensemble ne justifient pas à cause des abus de droit une résiliation du contrat de concession de Duclos.    
(soulignement ajouté) 
[131]      En somme, le juge a constaté que des réparations réclamées par l'intimée n'avaient pas été effectuées, réclamations qu'il ne qualifie pas de simples erreurs.  Il semble plutôt retenir qu'elles sont fausses, mais que cela est excusable à cause des abus de droit de Ford.  Or, de tels abus de droit n'ont pas été commis par Ford. 
[132]      En réalité, la lecture du jugement révèle que, n'eût été de la déformation résultant du prisme associé à la qualification erronée de divers gestes posés par Ford d'abus de droit, la seule conclusion qui pouvait raisonnablement être tirée de l'ensemble de la preuve est l'existence de réclamations frauduleuses par l'intimée. 
[133]      La preuve prise dans son ensemble mène à une seule conclusion : Ford a démontré par prépondérance de preuve l'existence répétée de réclamations fausses ou frauduleuses, et son avis de résiliation était justifié.
Référence : [2014] ABD Rétro 22

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