Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Vous connaissez mon penchant important pour la liberté d'expression et mon intérêt pour la jurisprudence rendue en matière de diffamation. C'est de ce domaine dont nous traitons ce matin alors que la Cour d'appel, dans Landry c. Dumont (2014 QCCA 910), vient de confirmer le jugement de première instance qui avait été rendu en 2012 dans Landry c. Dumont (2012 QCCS 2769). Cette affaire met en lumière l'importance de distinguer la mesquinerie de la diffamation, et ce particulièrement dans l'arène politique.
Dans cette affaire, les Demandeurs poursuivent le Défendeur pour pour atteinte à leur réputation et demandent l'émission d'une ordonnance de rétractation publique (NDL: en passant, je doute fort qu'une telle ordonnance puisse être accordée par les tribunaux québécois, quoique la Cour d'appel devra se prononcer sur la question dans une affaire récente dont j'ai traité le 19 août 2013...à suivre).
En effet, dans le cadre de leur campagne électorale aux postes de conseillers municipaux de la Municipalité des Saints-Martyrs-Canadiens, les Demandeurs allèguent que le Défendeur les a diffamés en publiant un pamphlet qui indiquait ce qui suit:
Mon adversaire
Monsieur Parenteau, comptez-vous collaborer sans entraves inutiles à la réalisation du projet d'égouts pour le village ? Entendez-vous travailler en équipe comme vous l'avez fait en poursuivant le maire de Chambly et les conseillers jusqu'à ce que la Cour Suprême refuse d'entendre votre appel ? Faites-vous équipe avec Monsieur Réal Tremblay, candidat au siège #6, lui-même ayant poursuivi la municipalité de Saints-Martyrs-Canadiens pour environ 95 000$ et a coûté près de 18 000 $ de frais à la municipalité ?
L'information en question est partiellement vraie en ce que le Demandeur avait effectivement poursuivi la municipalité. Il est cependant inexact d'affirmer que cela a coûté 18 000$ à celle-ci pour se défendre (il en a coûté seulement 1 000$, i.e. le déductible d'assurance).
Saisie de l'affaire, l'Honorable juge Dominique Bélanger rappelle qu'il est nécessaire de distinguer la mesquinerie de la diffamation fautive et qu'il faut accepter un discours parfois dur des adversaires en politique:
[50] Finalement, la Cour suprême établit que dans tous les cas, l'appréciation de la faute demeure une question contextuelle de faits et de circonstances et invite les tribunaux à toujours se rappeler que le recours en diffamation met en jeu deux valeurs fondamentales, soit la liberté d'expression et le droit à la réputation.
[51] Toujours dans l'affaire Prud'homme, la Cour suprême rappelle l'importance de la liberté d'expression dans le discours politique.
[52] La jurisprudence retient en effet qu’une personne qui exerce des activités publiques et politiques doit manifester un niveau de tolérance plus élevé que celui que l’on retrouve habituellement chez les autres citoyens. Il a aussi été retenu que les politiciens doivent s’attendre à répondre de l’usage qu’ils font des fonds publics.
[53] Les auteurs Baudouin et Deslauriers se disent d’avis que les personnes publiques, comme les personnages politiques, peuvent s’attendre à être plus attaquées que d’autres et leur mesure de tolérance à l’injure doit, dans leur cas, être plus large.
[54] Ils estiment toutefois que ces dernières conservent un droit à leur réputation et les attaques à leur endroit sont inacceptables, si elles sont basées sur des faits inexacts ou qui ne sont pas d’intérêt public.
[55] Dans notre dossier, les protagonistes ne sont pas encore élus, mais ils aspirent à l'être, ce qui implique que l'analyse des propos de Dumont doit se faire dans le contexte bien particulier d'une élection municipale.
[56] Les propos tenus par des adversaires politiques peuvent parfois être durs, voire un peu mesquins, sans pour autant constituer de la diffamation. Celui qui aspire à une charge publique doit s’attendre à ce que son adversaire utilise tous les moyens à sa disposition pour faire ressortir ses défauts. Bien sûr, il y a une limite à ne pas dépasser. Comme le souligne avec justesse la Cour d’appel, certains politiciens ne font pas dans la dentelle.
[57] La preuve démontre que la question du projet d'assainissement des eaux usées était une question qui soulevait un réel débat dans la municipalité de quelque 353 électeurs.
[58] C'est dans ce contexte que Dumont pose une question à son adversaire, Jacques Parenteau, lui demandant s'il compte collaborer sans entraves inutiles à la réalisation du projet d'égout et s'il entend travailler en équipe.
[59] Dans l'ensemble, on constate que Dumont a associé Parenteau et Tremblay comme étant deux personnes qui pourraient avoir de la difficulté à travailler en équipe, parce que par le passé, ils ont poursuivi des municipalités. Il les associe aussi à deux personnes qui ne sont pas du même avis que lui sur l’épineuse question du financement du système d’égout.
[60] C’est dans ce sens que les propos diffusés ici ne sont pas gratuits, ils visent à faire ressortir un certain trait de caractère du demandeur. Il est vrai que le demandeur a poursuivi la municipalité pour 96 000 $, à tort ou à raison. Il n’y a pas de faute de la part du défendeur à le souligner, surtout qu’il s’agit d’une petite municipalité et que l'affaire est contemporaine.
Comme je le mentionnais en introduction, la Cour d'appel vient de confirmer ce jugement, étant d'avis que les Appelants n'avaient pas démontré l'existence d'erreurs manifestes et dominantes dans le raisonnement de la juge de première instance.
Référence : [2014] ABD 181
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