lundi 19 août 2013

Exceptionnellement, l'exécution provisoire d'un jugement pourra être suspendue même en l'absence d'une faiblesse apparente lorsqu'il en résulterait une négation du droit d'appel autrement

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

En principe, la suspension d'une ordonnance d'exécution provisoire nécessite la démonstration d'une faiblesse apparente du jugement de première instance, d'un préjudice irréparable et de la faveur de la balance des inconvénients (voir, par exemple, notre billet du 28 juillet 2011 sur le sujet). Cependant, comme nous l'avions souligné le 5 novembre dernier, il existe des circonstances où le refus de suspendre l'exécution provisoire équivaudrait à la négation du droit d'appel de sorte que l'on mettra de côté le critère de la faiblesse apparente du jugement. L'Honorable juge François Doyon était saisi d'un tel cas dans l'affaire Corporation Sun Media c. Gesca ltée (2013 QCCA 1376).


Dans cette affaire, la Requérante demande la suspension de l'exécution provisoire de certaines conclusions contenues dans un jugement de première instance en matière de diffamation. Plus spécifiquement, le jugement ordonne à la Requérante de publier une rétractation de certains propos et des excuses.

Saisi de la demande, le juge Doyon rappelle le test traditionnel en la matière qui nécessite la démonstration d'une faiblesse apparente dans le jugement de première instance. Il souligne cependant également qu'il existe une exception importante pour les cas où l'exécution provisoire équivaut essentiellement à la négation du droit d'appel:
[8] La règle veut que la partie requérante démontre d'abord une faiblesse apparente, manifeste ou prima facie, dans le jugement contesté. Une jurisprudence constante en fait état. 
[9] Par contre, il existe au moins une exception. C'est celle énoncée par le juge LeBel, alors membre de cette Cour, dans Columbia Granit inc. c. Granit Bussières Ltée, [1986] J.Q. n° 2619 : 
Malgré le poids du fardeau imposé au requérant, cela ne signifie pas toutefois que l’absence d’erreur grave et manifeste dans ce jugement interdise d’examiner ses conséquences et celles du défaut de sursis. Parfois, même si une partie n’a pas réussi à démontrer à première vue l’absence de fondement juridique du jugement de première instance, la lourdeur et le caractère irréparable du préjudice qu’elle subirait justifieraient la Cour d’intervenir afin d’une part, de maintenir effectivement le statu quo durant le pourvoi et ensuite, d’autre part, d’éviter que le jugement d’appel, s’il modifiait celui de la Cour supérieure, ne soit privé d’effet pratique.  
[…]  
[…] La faiblesse manifeste du jugement n’est pas une condition absolument nécessaire d’un ordre de sursis, même dans le cas de l’injonction permanente. Il importe parfois d’examiner les effets mêmes du jugement et la situation que créerait son maintien pendant l’appel. 
[10] Ce principe, voulant que la lourdeur, l'intensité et le caractère irréparable du préjudice puissent pallier l'absence de faiblesse apparente lorsque l'appel risque d'être privé d'effet pratique, a depuis été repris par des juges de la Cour, particulièrement lorsque les questions soulevées sont « sujettes à débat ».
Pour le juge Doyon, l'ordonnance forçant la publication d'une rétractation et d'excuses entre dans la catégorie des jugements où l'exécution provisoire opérerait négation du droit d'appel. En effet, comment ensuite rétracter des excuses si l'on a gain de cause en appel? Pour cette raison, il est d'avis que l'exécution provisoire doit être suspendue:
[18] Les appelantes invoquent principalement l'impossibilité de rétracter des excuses qui auraient été publiées avant que la Cour prononce son arrêt. Toutefois, et ce, bien honnêtement, l'avocat des appelantes concède que cet argument vaut essentiellement pour contrer l'effet immédiat des ordonnances énoncées aux paragraphes 290 et 291 et que l'ordonnance inscrite au paragraphe 289 ne cause pas aux appelantes un préjudice du même ordre. 
[19] À mon avis, un texte exprimant des excuses est pratiquement irréversible. Peut-on imaginer que, après avoir gagné en appel, les appelantes publient un texte dans lequel elles se rétracteraient en retirant leurs excuses et en déclarant que, en fin de compte, elles n'ont causé aucun inconvénient ou préjudice à qui que ce soit? Difficile. 
[20] Forcer un acte de contrition alors que la personne visée n'a aucun repentir n'est déjà pas un geste banal. Forcer le même acte alors qu'un tribunal pourrait ensuite donner raison à la personne visée l'est encore moins.  
[21] Dans ces circonstances, j'estime que, à ce stade des procédures, forcer les appelantes à publier le texte retenu par la Cour supérieure leur causerait un préjudice irréparable.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/1522FfP

Référence neutre: [2013] ABD 329
 

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