jeudi 1 mai 2014

Les circonstances dans lesquelles une clause d'exclusion de responsabilité doit être mise de côté

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Le 30 novembre 2011, j'attirais votre attention à une décision de la Cour d'appel qui mettait de côté l'application d'une clause d'exclusion de responsabilité en présence d'une inexécution contractuelle substantielle. Or, la Cour vient, dans Ferme Franky 2004 inc. c. Gestions Pierre Saint-Cyr inc. (Centrale de contrôle d'alarmes du Québec) (2014 QCCA 848), de confirmer un jugement de première instance qui en est venu à la même conclusion.
 

Commençons d'abord avec le jugement de première instance (l'affaire Ferme Franky 2004 inc. c. 9059-4094 Québec inc. (Alarmes Pierre Fortier), 2012 QCCS 4738).
 
Dans le cadre d'une action en dommages, les Demanderesses réclament des Défenderesses la somme de 155 000 $ pour compenser les dommages subis lors d’une panne d’électricité survenue dans leur porcherie le 8 juin 2008 entraînant la mort de plusieurs de leurs porcs.  Elles reprochent à deux des Défenderesses de ne pas les avoir avisées de la panne d’électricité et à la troisième d’avoir fait neutraliser leur système d’alarme sans les prévenir. 
 
En contestation de l'action, la deuxième Défenderesse oppose aux Demanderesses la clause d'exclusion de responsabilité prévue dans le contrat pertinent.
 
L'Honorable juge Robert Legris rejette cette défense. Il souligne à quel point les tribunaux sont sceptiques des clauses d'exclusion lorsqu'elles s'appliquent à la performance contractuelle caractéristique. Comme le souligne le juge Legris, donner une application intégrale à une telle clause reviendrait à dire que la Défenderesse n'aurait aucune obligation contractuelle. Puisque la clause est de plus contenue dans un contrat d'adhésion, le juge Legris exclut son application en l'instance:
[24]        Le droit voit d’un mauvais œil les clauses de non-responsabilité lorsqu’elles portent sur l’obligation principale d’un cocontractant.  On dit alors que ces clauses, particulièrement dans les contrats d’adhésion comme c’est le cas ici, dénaturent le contrat en ce qu’en bout de ligne, le cocontractant ne s’est engagé à rien puisqu’il n’est responsable de rien.  On en voit un exemple dans l’affaire Mediterranean Shipping Co c. Les Courtiers Breen Ltée, 2011 QCCA 2173 où un transporteur, s’étant engagé à transporter des fruits dans des contenants réfrigérés, avait laissé ces contenants sans électricité pendant une quinzaine d’heures.  Un autre exemple, l’affaire Samen Investments c. Monit Management, [2010] QCCS 2618 traite d’un administrateur qui avait négligé de faire des réparations à l’immeuble qu’il administrait. Enfin, dans Axa Assurances c. Assurances générales des Caisses Desjardins, [2009] QCCS 862, une clause limitait la responsabilité d’ingénieurs au prix des services professionnels rendus ou 50 000 $.   
[25]        Ces arrêt et jugements s’appliquent ici.  L’obligation principale de la Centrale consiste à être à l’affût des alarmes et à appeler le client le cas échéant, ce à quoi elle a failli.  Le Tribunal retient donc la responsabilité de la Centrale.
La Cour d'appel - dans un jugement rendu par les Honorables juges Thibault, Kasirer et Gagnon - vient confirmer la décision du juge Legris. La Cour indique cependant qu'il n'était pas nécessaire de se prononcer sur la question de l'inexécution substantielle étant donné la clause du juge Legris quant au caractère abusif de la clause dans un contrat d'adhésion:
[3]         Le juge a eu raison de conclure que le contrat intervenu entre Alarme Pierre Fortier et Centrale est un contrat d'adhésion au sens de l'article 1379 C.c.Q., les dispositions essentielles ne pouvant être librement discutées. Dans ce contexte, le juge a eu également raison de ne pas appliquer la clause limitative de responsabilité contenue à l'article 6 du contrat. On peut conclure, à la lecture du paragraphe 24 du jugement que le juge y voit une clause abusive « […] est abusive notamment la clause si éloignée des obligations essentielles qui découlent des règles gouvernant habituellement le contrat qu'elle dénature celui-ci » (art. 1437 C.c.Q.). Compte tenu de cette conclusion, il n'était pas nécessaire de recourir à la théorie dite de « fundamental breach » pour écarter l'application de la clause limitative de responsabilité.
Référence : [2014] ABD 173

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