mercredi 30 novembre 2011

La Cour d'appel met de côté l'application d'une clause d'exclusion de responsabilité en présence d'une inexécution contractuelle substantielle

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

En common law canadienne, la théorie du "fundamental breach" voulait qu'une partie qui contrevenait substantiellement à ses obligations contractuelles ne pouvait réclamer le bénéfice d'une clause d'exclusion de responsabilité. Cette approche a été mise de côté par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Tercon pour être remplacée par une approche contextuelle, mais il reste que, dans certaines circonstances, l'inexécution contractuelle substantielle d'une partie peut avoir pour effet de la priver de la protection d'une clause d'exclusion de responsabilité. La Cour d'appel vient par ailleurs tout juste de procéder à une analyse très similaire dans l'affaire Mediterranean Shipping Company, s.a. c. Courtiers Breen ltée (2011 QCCA 2173).


Les faits de l'affaire sont relativement simples. L'Appelante est un transporteur maritime de conteneurs. Celle-ci est engagée pour transporter des clémentines de l'Afrique du Sud à Montréal. Lesdites clémentines sont acheminées dans un conteneur réfrigéré jusqu'à New York par bateau et ensuite jusqu'à Montréal par voie ferroviaire. Il n'est pas contesté que les clémentines arrivent à New York en bon état et que c'est dans le cadre de leur transport vers Montréal que la perte partielle survient. En effet, selon les constatations factuelles du juge de première instance, lors de cette portion du trajet, des interruptions prolongées du système de réfrigération surviennent en raison du débranchement du système de toute source d'alimentation électrique pendant un total de 20 heures  alors que la température extérieure était particulièrement élevée.

Le débat devant la Cour d'appel tourne sur l'application de la clause d'exonération de responsabilité contenue dans le connaissement en faveur de l'Appelante.

La Cour est d'opinion que l'analyse doit s'effectuer en fonction de la grille d'analyse mise de l'avant par le conseil privé dans l'affaire Canada Steamship Lines:
[8] Cette grille d'analyse à laquelle réfère le juge, maintes fois citée depuis en jurisprudence, comporte trois volets :
Their Lordships think that the duty of a court approaching the consideration of such clauses may be summarised as follows: (i) If the clause contains language which expressly exempts the person in whose favour it is made (hereafter called "the proferens") from the consequence of the negligence of his own servants, effect must be give to that provision. Any doubts which existed as to whether this was the law in the Province of Quebec were removed by the decision of the Supreme Court of Canada in Glengoil S.S. Co. v. Pilkington (2). (ii) If there is no express reference to negligence, the court must consider whether the words used are wide enough, in their ordinary meaning, to cover negligence on the part of the servants of the proferens. If a doubt arises at this point, it must be resolved against the proferens in accordance with art. 1019 of the Civil Code of Lower Canada: "In cases of doubt, the contract is interpreted against him who has stipulated and in favour of him who has contracted the obligation." (iii) If the words used are wide enough for the above purpose, the court must then consider whether "the head of damage may be based on some ground other than that of negligence" to quote again LORD GREENE, M.R., in the Alderslade case (1). The "other ground" must not be so fanciful or remote that the proferens cannot be supposed to have desired protection against it, but, subject to this qualification, which is, no doubt, to be implied from LORD GREENE'S words, the existence of a possible head of damage other than that of negligence is fatal to the proferens even if the words used are, prima facie, wide enough to cover negligence on the part of his servant.
[...]
[13] L'analyse de l'application de la clause d'exonération 14 (d) pour faire obstacle à la responsabilité du transporteur doit s'effectuer ici en fonction du troisième volet de la grille d'analyse de l'arrêt CSL. [...]
Ainsi, la Cour souligne, il faut se demander si la clause d'exonération, qui s'applique à la négligence de l'Appelante ou de ses proposés et agents, a pu être envisagée par les parties pour protéger l'Appelante contre une autre cause que la négligence pour cette catégorie de dommages. En l'espèce, la Cour en vient à la conclusion que le fait pour le système de réfrigération de ne pas avoir été gardé en fonction pendant la durée du trajet est un manquement contractuel important et qu'il n'était pas dans l'intention des parties d'exclure la responsabilité de l'Appelante pour un tel manquement:
[18] En effet, l'exigence de l'expéditeur pour que la cargaison soit transportée dans un conteneur réfrigéré emporte l'obligation correspondante pour le transporteur non seulement de fournir un conteneur réfrigéré, mais aussi de maintenir le système de réfrigération en fonction pendant toute la durée du transport. L'inexécution partielle, mais néanmoins substantielle, du contrat de transport, soit l'omission de maintenir en fonction le système de réfrigération, emporte ici la responsabilité de l'appelante. 
[19] La clause 14 (d) du connaissement, rédigée en des termes suffisamment larges pour exclure la négligence comme cause de responsabilité, ne visait certainement pas à exonérer le transporteur de responsabilité en cas d'une inexécution d'une obligation portant sur un élément majeur du contrat de transport. Le manquement porte ici sur une exigence essentielle du contrat : la cargaison de clémentines doit être transportée dans un conteneur réfrigéré. La clause d'exonération 14 (d) ne peut donc être opposée à l'intimée, puisqu'elle ne peut couvrir l'omission de satisfaire à l'obligation contractuelle à laquelle s'était engagé le transporteur.
L'on constate donc que, sans appliquer la défunte théorie du "fundamental breach", la Cour d'appel en vient au même raisonnement en l'espèce. Bien que ce jugement est rendu en application du droit maritime canadien et non du droit civil québécois, il sera intéressant de suivre comment se développera la jurisprudence québécoise sur la question suite à cette décision.

Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/rGL4tO

Référence neutre: [2011] ABD 382

Autres décisions citées dans le présent billet:

1.  Tercon Contractors Ltd. c. Colombie-Britannique (Transports et Voirie), J.E. 2010-321 (C.S.C.).
2. Canada Steamship Lines Ltd. v. The King, [1952] A.C. 192.

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