lundi 5 mai 2014

Il est approprié pour un juge de première instance qui constate une injustice de ne pas condamner la partie perdante aux dépens

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

L'article 477 C.p.c. pose le principe général voulant que la partie qui a gain de cause se voit accorder les dépens. Bien sûr, le juge saisi de l'affaire peut déroger à cette règle en motivant sa décision de le faire. Même si certaines décisions ont indiqué que la sympathie que peut avoir la Cour pour une partie n'est pas un motif valable pour déroger à la règle générale, reste qu'il est tout à fait raisonnable pour le juge de première instance de ne pas condamner une partie aux dépens lorsqu'il en vient à la conclusion qu'elle est victime d'une injuste. C'est ce que la Cour d'appel confirme dans F.B. c. Therrien (Succession de) (2014 QCCA 854).
 

Dans cette affaire, l'Appelante se pourvoit contre un jugement de première instance qui a rejeté son recours en dommages contre les Intimés. Ce recours était fondé sur l'allégation que l'Appelante a été violée par le vicaire de sa paroisse en 1966. Or, bien que le juge de première instance est d'opinion que son témoignage est véridique, il est également d'avis que son recours est prescrit.
 
La Cour d'appel confirme cette décision, ne voyant pas d'erreur déterminante du juge de première instance sur la date de départ du délai de prescription. Elle se penche alors sur l'appel incident des Intimés qui plaident que le juge a eu tort de ne pas leur accorder les dépens nonobstant le fait qu'ils ont eu gain de cause. Plus spécifiquement, les Intimés font valoir que la sympathie pour l'Appelante n'est pas un motif suffisant pour ne pas accorder les dépens.
 
Dans un jugement unanime rédigé par l'Honorable juge Benoît Morin, la Cour rejette cette prétention des Intimés. Le juge Morin souligne en effet que rien ne s'opposait à ce que le juge de première instance - rejetant le recours de l'Appelante pour une raison autre que le bien fondé de celle-ci - décide de ne pas accorder les dépens aux Intimés:
[93]        Dans ces circonstances, bien que les intimés nient complètement les faits et croient que la procédure est fondée sur de simples fabulations, le juge a estimé que les droits de l’appelante ont été violés. 
[94]        Cependant, après un débat contradictoire impliquant des experts chevronnés, le juge a déterminé que le recours était prescrit. Selon moi, le juge n’a pas voulu indûment s’acharner sur une personne qu’il considère avoir été victime d’une injustice grave. 
[...] 
[99]        D’une part, les intimés croient que la décision est fondée sur une certaine empathie du juge à l’endroit de l’appelante. Ils soulignent que la Cour avait estimé dans l’arrêt Alevras c. Tecksol inc. que cela ne constituait pas un motif justifiable : 
[...]  
It is sometimes possible to infer from a judgment what reasons guided a trial court in making a special costs order, but that is not the case here. In paragraph [46] of her reasons, the trial judge expressed her sympathy for the appellant who “is a likeable man and […] he has been hurt very seriously when he fell from the airplane on the tarmac. It had life changing consequences for him. ” Every reasonable person would agree with this statement and the plight which befell the appellant would attract the sympathy of all such persons. Regrettably for him, however, that is not enough to warrant a special order for costs. 
[100]     À mon avis, cet argument doit échouer puisque je crois que le juge fonde davantage sa décision sur le fait que l’appelante possédait un droit d’action avant que celui-ci s’éteigne par le jeu de la prescription que sur de la sympathie à son égard.  
[101]     Par surcroît, il est opportun de référer, comme l’appelante, à la décision de ne pas intervenir de la Cour d’appel dans un dossier de responsabilité médicale où le demandeur avait été atteint d’une maladie rare qui lui avait causé des dommages importants. En première instance, le juge Mongeon avait déclaré : 
[603]   Le Dr Therrien a poursuivi douze médecins. Il a conclu des règlements hors cour où il a obtenu une certaine indemnisation. Il a proposé et obtenu de se désister à l'égard d'autres défendeurs sans qu'on ne lui impose l'obligation de payer les dépens. Il a choisi, comme cela était son droit le plus strict, de faire le procès de sa vie contre deux médecins. Il voit aujourd'hui sa cause rejetée et devra assumer le coût de ses propres experts ainsi que les honoraires de ses avocats.  
[604]   Le Tribunal juge que cela est assez et que cela serait commettre une injustice que de le condamner aux frais. 
[102]     En appel, la Cour avait énoncé : 
[24]        Exerçant le pouvoir que lui reconnaît l’article 477 C.p.c., le juge de première instance a estimé en tenant compte des circonstances pénibles de ce litige, qu’il serait injuste de condamner le demandeur aux frais. Nous partageons aussi cet avis quant à l’appel. 
[103]     Selon moi, le juge ne commet aucune erreur de droit en justifiant sa décision en référant simplement aux faits du litige qu’il a bien expliqués dans son jugement.

Référence : [2014] ABD 177

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