dimanche 20 avril 2014

Dimanches rétro: l'admissibilité en preuve d'un enregistrement audio selon la Cour d'appel

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Le 7 août 2013, nous discutions ensemble d'une décision de la Cour supérieure sur l'admissibilité en preuve d'un enregistrement audio. Cette décision appliquait les enseignements de la Cour d'appel dans Cadieux c. Service de gaz naturel Laval inc. (1991 CanLII 3149). C'est de cette dernière décision dont nous traitons aujourd'hui dans le cadre des Dimanches rétro.

Dans cette affaire, la Cour était saisie de la question de savoir si l'on pouvait déposer en preuve un enregistrement audio effectué fait à l'insu des interlocuteurs. En première instance, le juge était exclu cette preuve au motif qu'il aurait fallu, immédiatement après l'enregistrement, qu'une copie de celui-ci soit remis aux autres parties pour s'assurer de son authenticité.
Dans une décision unanime rédigée par l'Honorable juge Paul-Arthur Gendreau, la Cour d'appel vient renverser le jugement. Le juge Gendreau souligne d'abord que, bien d'inélégant, il n'y a rien d'illégal dans le fait d'enregistrer une conversation téléphonique dans laquelle on est partie:
L'admissibilité de l'enregistrement mécanique d'un entretien par l'un des interlocuteurs quelqu'indiscret, inélégant, ni peu souhaitable que soit le procédé pour reprendre les propos tenus par les frères Mazeaud (voir note 5), n'est pas en soi une violation du droit à la protection de la vie privée. En effet, ce document démontre les circonstances et le contenu d'une conversation que par ailleurs, la partie a nié ou dévoilé à son témoignage. En somme, l'opérateur du magnétophone, qui est aussi l'un des interlocuteurs, est appelé avec l'autre interlocuteur à témoigner de cet entretien. C'est parce que l'événement lui-même objet du document sonore est un élément du procès que j'ai peine à concevoir que ce qui, peut-être, pourrait constituer une intrusion dans la vie privée, continue de l'être au moment où il est devenu un enjeu du procès. Le juge Cory, il était alors à la Cour d'appel, exprime bien cette idée dans l'arrêt R. c. Sanelli écrit:  
Given that it is accepted that the informant may testify in this manner as to pertinent conversations, the admission of electronic recordings of those conversations would seem to be a reasonable, logical and sequential step in trial proceedings. In this regard, the accurate transcript of the conversation would so often benefit the accused as the informant. 
[...] 
Je conclus cette question en rappelant que dans la mesure où l'enregistrement mécanique d'une conversation par l'un des interlocuteurs rencontre les conditions générales d'admissibilité de la loi, que son contenu est pertinent au procès, elle devrait être produite et que l'article 5 de la Charte québécoise ne devrait pas y faire échec, comme il n'empêche pas la production d'écrit privé adressé à des tiers ou même des papiers domestiques.
Ainsi, le juge Gendreau souligne qu'un tel enregistrement est admissible en preuve dans la mesure où la partie qui entend le produire en prouve la fiabilité:
Aussi, la production d'un enregistrement mécanique impose à celui qui la recherche, la preuve d'abord de l'identité des locuteurs, ensuite que le document est parfaitement authentique, intégral, inaltéré et fiable et enfin que les propos sont suffisamment audibles et intelligibles. Les conséquences d'une erreur dans l'appréciation du document subséquemment admis en preuve sont si importantes que le juge doit être «entièrement convaincu», pour reprendre les mots du juge Pinard dans Hercy c. Hercy (déjà cité). Cette conviction n'est certes pas régie par la règle du droit criminel; mais le juge devra ici exercer sa discrétion avec une grande rigueur. 
Sans proposer de règles ou normes précises, laissant aux plaideurs le soin de faire leur démonstration, la preuve du requérant devrait néanmoins être conduite de manière à entraîner une réponse affirmative aux critères que j'ai énumérés plus tôt. Quant à celui à qui on oppose ce moyen de preuve, il devrait lui être possible, s'il le demande, d'obtenir le document pour l'examiner personnellement ou avec l'aide d'experts. Il appartiendra alors au juge de définir les conditions de cet examen afin d'éviter toute altération.
Référence : [2014] ABD Retro 16

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