mercredi 5 février 2014

La reconnaissance, dans les états financiers d'une entreprise, de l'existence d'une dette interrompt la prescription

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Un court, mais important billet cet après-midi en matière de prescription. Comme on le sait, la reconnaissance d'un droit interrompt la prescription. Or, cette reconnaissance peut prendre plusieurs formes dont, pour une entreprise, l'inscription de cette dette dans ses états financiers. C'est que souligne l'Honorable juge Mark Schrager dans Levenzon (Demetriou) c. Korres (2014 QCCS 258).


Dans cette affaire, les Demandeurs intentent des procédures pour récupérer les 404 000$ qu'ils allèguent avoir avancés à la compagnie Défenderesse, laquelle est contrôlée par les autres Défendeurs. 
 
Parmi les moyens de défense opposés par les Défendeurs l'on retrouve la prescription du droit au remboursement invoqué. En effet, selon les Défendeurs ce droit est né plus de trois ans avant l'institution des procédures.
 
Le juge Schrager, après analyse de la preuve, en vient à la conclusion que cet argument est mal fondé. À cet égard, il souligne que la prescription a été interrompue par le dernier paiement fait par la compagnie Défenderesse et par la reconnaissance de celle-ci, dans ses états financiers, de l'existence de la dette:
[106]     Defendants argued that Plaintiff's recourse was prescribed.  However, the debt was acknowledged as late as June 2007 when the last payment was made by Automobiles Dorval to Plaintiff for interest.  Also, indirectly, in the June 30, 2006 financial statements issued in early 2007, there is an acknowledgment through the shareholder's loan of the monies due to Plaintiff.  As well, Demetre as indicated above, acknowledged the debt due to Plaintiff. 
[107]     An acknowledgment of indebtedness interrupts prescription (Article 2898 C.C.Q.).  An acknowledgment by one solidarily debtor avails against all solidarily debtors (Article 2900 C.C.Q.).  Plaintiff's recourse is not prescribed.

Conseil pratique:

Ainsi, lorsque la partie adverse plaide la prescription, il est toujours recommandé de demander copie des états financiers ou, à défaut, des livres comptables de l'entreprise pour voir si la dette en question y est reconnue.
 
Référence : [2014] ABD 52
 

2 commentaires:

  1. Bonjou Me Renno,
    Certaines autres décisions antérieures sont au même effet. Je me suis questionné à leur lecture et me questionne toujours à la lecture des propos de l'honorable Schrager sur le mérite de cette position jurisprudentielle lorsque l'état financier n'a pas été divulgué au créancier. La prescription vise à sanctionner le créancier qui ne fait pas diligence à faire valoir ses droits. Lorsque le débiteur communique au créancier qu'il reconnaît devoir la dette, l'on comprend aisément que le créancier lui-même ne croit pas alors que débute son mode "recouvrement" et son délai pour agir. Mais lorsque le créancier ne connaît pas même l'existence de la reconnaissance, il n'enligne pas sa conduite sur une telle reconnaissance. Je comprends que l'article 2898 C.C.Q. ne dit pas que la reconnaissance de dette doit être divulguée, ni non plus que la renonciation au délai couru (autre élément interruptif de prescription énoncé au même article)...Je note incidemment qu'en consultant rapidement l'ouvrage Code civil du Québec annoté de Baudouin Renaud 2013 sous 2898, je ne relève que quelques décisions qui mentionnenent que la reconnaissance de dette n'a pas à être communiquée au créancier ou accepté par lui (l'une de la cour supérieure de 1956, une de la cour provinciale de1974 et une autre de la cour du Québec de 2009 sur la question (voir 2898/12 et 2898/13)). Je n'ai pas fait une recherche sur la question mais le ferais assurément dans le cadre d'un mandat pour vérifier si une telle prétention demeure soutenable. À votre connaissance, la Cour d'Appel s'est-elle déjà prononcée sur le point?

    Alain Gutkin

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    1. Bonjour Me Gutkin.

      Votre commentaire est très intéressant. Je dois avouer que je ne me suis jamais posé la question à savoir si la reconnaissance de dette doit être faite directement au créancier pour être valide.

      Vous avez par ailleurs raison de souligner qu'il existe d'autres décisions sur la reconnaissance de dette dans les bilans ou états financiers. Cependant, aucune d'un banc complet de la Cour d'appel à ma connaissance. Sans avoir fait de recherche exhaustive sur la question, je connais les décisions suivantes:

      1. HSC Bank of Canada c. Productions Screen People (C’est pas moi) inc., 2012 QCCS 4749 ( http://www.jugements.qc.ca/php/decision.php?liste=74364205&doc=73C0D3E05438D6E1EE02DF35E8A43FE046039A5C3F53C75E9EB1651725CDAE88&page=27 ) où le juge Louis Lacoursière a déclaré abusive une défense qui alléguait prescription alors que les états financiers de la défenderesse reconnaissaient la dette. Par ailleurs, ces états avaient été remis à la demanderesse alors cela ne répond pas vraiment à votre question. Le juge Pierre J. Dalphond a refusé la permission d'en appeler de cette décision au motif que les moyens d'appel apparaissaient voués à l'échec dans Screen People Inc. c. HSC Bank Canada, 2012 QCCA 2028 (http://www.jugements.qc.ca/php/decision.php?liste=74364645&doc=E05A7F1C4525F00E1E2706B710905B235861A733BC24E8BDE409B2805447EE35&page=7 );

      2. Dans Ferme Marcel Nadeau et Frères inc. c. Nadeau, 2007 QCCQ 7872 (http://www.jugements.qc.ca/php/decision.php?liste=74364776&doc=0486033A0D8B4B0515F21B92070A19B14274A889081BC149EF1E42AC17F6B2F1&page=9 ), les états financiers étaient également remis à la partie qui invoquait la reconnaissance de dette;

      3. La seule décision sur la question où l'état financier ou le bilan n'est pas remis à la partie adverse, mais quand même considéré comme une reconnaissance de dette interrompant la prescription est l'affaire La Casse c. De Billy-Tremblay & Associés Inc., 2004 CanLII 14648 (C.S.) (http://www.canlii.org/fr/qc/qccs/doc/2004/2004canlii14648/2004canlii14648.html?searchUrlHash=AAAAAQAIZmFpbGxpdGUAAAAAAQ ) où la reconnaissance de la dette se retrouve dans le bilan préparé par un failli pour l'annexer à sa proposition concordataire.

      Tout cela pour dire que non, malheureusement, je ne suis pas au courant d'une décision de la Cour d'appel qui répondrait par l'affirmative ou la négative à votre question.

      Salutations distinguées,

      Karim Renno

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