jeudi 19 décembre 2013

Un manquement contractuel ou extracontractuel, même délibéré et même abusif, ne constitue généralement pas une violation de l'article 6 de la Charte québécoise

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Le 6 janvier 2012, j'attirais votre attention sur les enseignements de la Cour d'appel en matière d'attribution de dommages punitifs pour l'atteinte à la jouissance des biens (article 6 de la Charte québécoise). La Cour revient sur la question récemment dans Brizard c. McNicoll (2013 QCCA 2192) pour confirmer que le manquement contractuel ou extracontractuel, même délibéré et même abusif, ne donne généralement pas ouverture à l'attribution de dommages punitifs.
 

Je vous épargne la trame factuelle de cette affaire parce qu'elle n'est pas facile à résumer et parce qu'elle n'est pas nécessaire pour nos fins. On retiendra simplement que les Appelants ont intentés en première instance une action pour perte de leur investissement (temps, argent et énergie) dans une entreprise.
 
Ce recours est accueilli en partie, mais le juge de première instance refuse d'accorder les dommages punitifs que recherchaient les Appelants en vertu des articles 4, 6 et 49 de la Charte québécoise.
 
L'Honorable juge Marie-France Bich, au nom d'un banc unanime, confirme la décision du juge de première instance sur cet aspect. Traitant de l'article 6, la juge Bich souligne que le comportement, même de mauvaise foi et abusif, d'une partie ne saurait, à lui seul, justifier l'attribution de dommages punitifs lorsque la victime de ce comportement est privée d'un bénéfice financier:
[59]        Dommages punitifs. Le juge de première instance n'a pas accordé à Brizard les dommages punitifs que celui-ci réclamait et qu'il réclame toujours en appel, à raison de 25 000 $ en ce qui concerne McNicoll et de 50 000 $ en ce qui concerne Circuit Ford. Brizard fonde sa demande sur les articles 4 (atteinte à sa dignité), 6 (atteinte à la jouissance de ses biens) et 49 de la Charte des droits et libertés de la personne.  
[60]        Avec égards pour l'opinion contraire, j'estime, à l'instar du juge de première instance, qu'il n'y a pas lieu d'octroyer ici des dommages punitifs. La preuve ne démontre pas d'atteinte à la dignité de Brizard au sens de l'article 4 de la Charte québécoise, atteinte qui ne peut être de l'ordre de la blessure d'amour-propre, du seul chagrin ou même de la déconvenue professionnelle.  
[61]        La preuve ne démontre pas non plus d'atteinte à la jouissance paisible et à la libre disposition des biens de Brizard. Là-dessus, je partage l'avis du juge Beauregard (dissident, mais pas sur ce point) dans Shama Textiles Inc./Tissus Shama inc. c. Certain Underwriters at Lloyd's, paragr. 21 (avec l'accord du juge Rochon, au paragr. 61), ou encore celui du juge Forget dans Azoulay c. Azoulay, paragr. 41. On ne peut pas prétendre que tout manquement contractuel ou extracontractuel, même délibéré et même abusif, constitue une violation de l'article 6 de la Charte québécoise et il est peu probable que le législateur, lorsqu'il a édicté cette disposition, ait eu à l'esprit le genre de dispute dont il est ici question. De toute façon, s'il est des circonstances où l'article 6 pourrait s'appliquer dans un contexte comme celui de l'espèce, elles n'ont pas été établies.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/JOy8ei

Référence neutre: [2013] ABD 506

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