lundi 28 octobre 2013

Même lorsqu'un locateur est d'avis que le bail commercial auquel il est partie a été résilié extrajudiciairement, il ne peut se faire justice lui-même et expulser le locataire

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Le 5 mars 2013, j'attirais votre attention sur une décision de la Cour d'appel qui soulignait qu'il était possible d'obtenir une injonction pour bloquer la résiliation extrajudiciaire d'un bail lorsque les conditions de celle-ci n'étaient pas rencontrées. Je vous indiquais dans ce contexte que la résiliation extrajudiciaire n'exclut donc pas un rôle pour les tribunaux. Comme l'illustre l'affaire Meubles Saguenay inc. c. Tennis CRTC ltée. (2013 QCCS 5223), l'intervention des tribunaux est également nécessaire pour expulser le locataire qui ne quitte pas volontairement, puisque le locateur ne peut se faire justice lui-même.



Dans cette affaire, la Demanderesse, locataire commerciale, recherche l'émission d'une injonction interlocutoire pour qu'il soit ordonné à la Défenderesse, locateur, de lui permettre la jouissance paisible des lieux loués.
 
En effet, la Défenderesse avait préalablement transmis à la Demanderesse un avis exigeant le paiement immédiat du loyer du mois d’octobre tout en la prévenant qu’à défaut d’avoir de ses nouvelles d’ici le 15 octobre 2013, elle reprendrait possession immédiate des lieux loués. Ce paiement n'ayant pas été effectué, la Défenderesse a considéré le bail résilié et ses représentants se sont présentés sur les lieux loués afin de procéder au changement des serrures, de poser des affiches interdisant à la Demanderesse d’entrer dans les lieux tout en mandatant un agent de sécurité pour les surveiller. Finalement, elle a placé des blocs de ciment à certains endroits stratégiques en vue d’empêcher l'accès aux locaux.
 
L'Honorable juge J. Claude Larouche émet l'injonction recherché. Ce faisant il souligne que même lorsqu'il existe dans un bail commercial une clause de résiliation extrajudiciaire et que le locateur est d'avis qu'elle trouve application, il ne peut expulser le locataire qui refuse de quitter les lieux volontairement sans l'intervention de la Cour. Il ne peut se faire justice lui-même:
[18]        Il ne s’agit pas, dans le présent cas, de décider si une clause de résiliation automatique est valide dans un bail, ce qui a été reconnu à plusieurs reprises par les tribunaux. 
[19]        Certes, une fois qu’un locateur s’est prévalu d’une telle clause, encore faut-il, si le locataire ne veut pas quitter les lieux loués volontairement, qu’il s’adresse au tribunal pour obtenir une ordonnance d’expulsion. 
[20]        Cependant il y a plus. Il importe de souligner que dans le présent dossier, Tennis CRTC s’est adressée au tribunal pour qu’il prononce la résiliation du bail. Ce n’est qu’après la prise en délibéré du dossier qu’elle a décidé de se prévaloir de la clause de résiliation automatique du bail. 
[21]        Ceci étant dit, peu importe, le tribunal considère que Tennis CRTC ne pouvait aucunement se faire justice elle-même en posant les actes qui lui sont reprochés. 
[22]        Une telle façon de procéder est d’autant plus répréhensible que le dossier était alors en délibéré devant monsieur le juge Paradis après une audition de plusieurs jours.  
[23]        Il est d’ailleurs intéressant de lire ce qu’écrit le professeur Vincent Karim à ce sujet en s’appuyant sur une jurisprudence pertinente : 
Le bailleur peut procéder par requête en expulsion même si le bail était expiré ou résilié de plein droit. Cette procédure doit contenir une conclusion visant à ordonner au locataire le délaissement, car la résiliation de plein droit ne conférait pas au locateur le même droit que si la résiliation avait été prononcée par un jugement. Le recours approprié pour parvenir à l’éviction du locataire est donc l’action en expulsion. Lorsque le délaissement n’est pas volontaire, il doit donc faire l’objet d’une poursuite judiciaire; le recours à l’injonction peut aussi être permis dans ce cas exceptionnel.  
(Références omises) 
[24]        De même, dans un article intitulé «Développements récents en droit immobilier 2004», l’auteur Pierre Audet écrit ce qui suit : 
Ce dont il est question ici, est le caractère répréhensible ou non d’une reprise de possession sans processus judiciaire en présence d’une clause à cet effet. À notre avis, il s’agit d’une question de degré et de contexte factuel. 
Dans le cas où le locataire refuse d’acquiescer à la résiliation de plein droit et s’oppose à la remise des lieux au locateur, il nous apparaît difficile de concevoir que ce dernier puisse procéder à l’expulsion sans engager un processus judiciaire et, à plus forte raison, de procéder lui-même à l’expulsion manu militari. Le législateur n’a certainement pas voulu qu’une des parties en vienne à se faire justice elle-même de la sorte en employant la force. On peut juste imaginer jusqu’où une telle façon de faire pourrait mener les parties. Il nous apparaît que l’ordre public requiert que l’on procède dans un tel cas par bref d’expulsion.  
Stratégiquement, changer les serrures à l’insu du locataire ne nous apparaît pas, par ailleurs, recommandable. D’abord, le contrôle judiciaire après le fait décourage cette avenue dans la plupart des cas. De plus, il faut garder à l’esprit que le but premier du locateur invoquant la résiliation est généralement de relouer les lieux à un nouveau locataire, qui saura honorer ses obligations. Il est donc souvent préférable d’obtenir la reprise de possession de façon définitive par un processus judiciaire.  
(Référence omise)
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/1h0rGzE

Référence neutre: [2013] ABD 430

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