mardi 5 mars 2013

L'existence dans un bail commercial d'une clause de résiliation extrajudiaire n'empêche pas les tribunaux de bloquer cette résiliation si les conditions de son exercice ne sont pas respectées

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

La reconnaissance par le législateur de la résiliation extrajudiciaire d'un contrat a fait beaucoup de vagues lors de l'entrée en vigueur du Code civil du Québec en 1994. Cela étant dit, elle est maintenant bien acceptée par les tribunaux et elle a été appliquée dans le contexte d'un bail commercial (voir la décision de la Cour d'appel dans 9051-5909 Québec inc. c. 9067-8665 Québec inc., 2003 CanLII 8587). Par ailleurs, la reconnaissance de la possibilité de résilier extrajudiciairement un bail commercial n'empêche par les tribunaux québécois de pouvoir intervenir et émettre une injonction bloquant cette résiliation lorsque les conditions pertinentes ne sont pas remplies comme le souligne la Cour d'appel dans Société du Vieux-Port de Montréal inc. c. 9196-0898 Québec inc. (Scena) (2013 QCCA 380).
 

Dans cette affaire, d'opinion que l'Appelante n'avait pas de motifs valables pour mettre fin au bail commercial entre les parties en application de la clause de résiliation extrajudiciaire, l'Intimée a demandé et obtenue de la Cour supérieure une injonction permanente bloquant ladite résiliation. C'est ce que l'Appelante attaque.
 
Un des moyens que fait valoir l'Appelante est à l'effet que le juge ne pouvait émettre une injonction parce qu'il appliquait alors un bail déjà résilié.
 
Un banc unanime de la Cour (les Honorables juges Doyon, Kasirer et St-Pierre) rejette cet argument et souligne que ce n'est parce que l'on reconnaît la validité des clauses de résiliation extrajudiciaire qu'il est impossible pour les tribunaux québécois de contrôler a posteriori l'exercice de ce droit:
[7] Il est acquis qu'une clause de résiliation de plein droit dans un bail commercial est, en principe, légale. 
[8] Toutefois, l'appelante ne pouvait se prévaloir de la clause 22 en l'absence d'un manquement au bail. Comme le note le juge Chamberland dans l’arrêt 9051-5909 Québec inc. c 9067-8665 Québec inc.:
[32] J'ai d'autant moins d'hésitation à reconnaître la validité, et la portée, d'une clause prévoyant expressément la résiliation de plein droit d'un bail commercial au cas d'inexécution des engagements contractuels pris par l'une ou l'autre des parties que cela me semble aller dans le sens de ce que le législateur a voulu favoriser en adoptant la règle posée par l'article 1605 C.c.Q. au titre « Des obligations en général ». Si le créancier d'une obligation inexécutée se trompe en soutenant que le bail est résilié de plein droit, sans poursuite judiciaire, il risque de se faire dire plus tard par le tribunal qu'il n'avait pas droit à cette résolution, et d'avoir à payer le prix de son erreur. Le contrôle judiciaire a posteriori vaut bien, dans ce contexte, le contrôle judiciaire a priori.
[9] En l’espèce, c’est précisément lors d’un contrôle judiciaire a posteriori que le juge a conclu que le locateur n’avait pas droit à la résiliation du bail de plein droit.  
[10] L’appelante écrit dans son mémoire que le juge a fait erreur « en appliquant un bail qui était déjà résilié de plein droit ».  
[11] L’appelante se méprend sur ce point. Le juge n’a pas appliqué un bail déjà résilié de plein droit, mais a plutôt examiné, conformément à l'enseignement de notre collègue le juge Chamberland dans l’arrêt 9051-5909 Québec inc., si la clause de résiliation automatique pouvait s’appliquer aux circonstances invoquées par l’appelante. La présence dans un bail commercial d’une clause de résiliation automatique ne dispense pas en effet la partie qui invoque la résiliation extrajudiciaire de démontrer que les conditions y donnant lieu sont satisfaites, si son cocontractant s'oppose à la résiliation. 
[12] Ici, a posteriori, le juge décide qu'il n'y avait pas de manquement au bail. 
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/WM5n7Q

Référence neutre: [2013] ABD 92
 

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