mercredi 6 mars 2013

Même si les acheteurs n'ont pas généralement l'obligation d'engager un expert pour inspecter une propriété, ils doivent quand même faire preuve de diligence dans leur propre inspection

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Il était une époque où les tribunaux québécois exigeaient presque systématiquement des acheteurs potentiels d'un immeuble qu'ils engagent un expert pour faire une inspection préalable. Cette époque est révolue et la jurisprudence indique maintenant qu'en l'absence d'indices ou de circonstances particulières, il n'est pas nécessaire de retenir les services d'un expert. Ce qui ne veut pas dire par ailleurs que les acheteurs eux-mêmes sont dégagés du devoir d'inspecter l'immeuble. En effet, comme le souligne la Cour supérieure dans Nadeau c. Bell (2013 QCCS 772), les acheteurs ne peuvent prétendre à vices cachés lorsqu'ils auraient découverts ceux-ci s'ils avaient procédé à une visite exhaustive des lieux.
 

Dans cette affaire, la Demanderesse intente des procédures en dommages contre les personnes qui lui ont vendu une fermette. La Demanderesse allègue que celle-ci repose en partie sur un terrain recouvert de remblai constitué de débris de construction contaminés, ce qui rend impossible son projet de culture biologique.
 
La Demanderesse allègue de plus que les Défendeurs lui ont caché cette situation nonobstant leur connaissance du projet de culture. Elle plaide donc l'existence de vices cachés et réclame des dommages compensatoires et punitifs.

L'Honorable juge François P. Duprat rejette cette réclamation au motif que le vice, s'il en est véritablement un, n'est pas caché. En effet, une simple inspection par la Demanderesse de la propriété lui aurait permis de voir le remblai et poser les questions qui s'imposaient. Ainsi, même si le juge Duprat n'est pas d'avis que la Demanderesse devait engager un expert, il indique qu'elle devait néanmoins faire preuve de diligence et inspecter le terrain
[61] Dans la décision de Hatziefrenis c. Construction Les Terrasses du Moulin Inc.,la Cour supérieure a analysé un problème de vice caché eu égard au fait que la terre contenait divers débris de toutes sortes. Le juge Louis Crête, a conclut que l’acheteur avait été imprudent. Il écrit :
Le Tribunal conclut sur ce point que la présence des rebus se trouvant sur la terre boisée vendue par Monsieur Hatziefrenis n’était pas un vice caché, cette présence pouvait aisément être découverte par quiconque aurait effectué un examen le moindrement sérieux de la propriété et que les défendeurs ne se sont pas déchargés du fardeau de démontrer qu’ils avaient agi en acheteurs prudents et diligents.
[62] Si Madame Nadeau et Monsieur Thibert avaient procédé à l’examen visuel attentif et complet de la propriété, ils auraient constaté l’existence du remblai. Vu leur projet de culture, il aurait été tout à fait naturel de poser des questions et, possiblement, recourir aux services d’un agronome ou de tout autre expert approprié dans les circonstances. 
[63] Le Tribunal ne décide pas que Monsieur Thibert et Madame Nadeau devaient nécessairement recourir aux services d’un expert. Il décide plutôt que Monsieur Thibert et Madame Nadeau n’ont pas agi de façon prudence et diligente en prenant la décision hâtive d’acheter la propriété sans vérifier le potentiel agricole de celle-ci. La présence du remblai était apparente et devait mener les acheteurs à questionner la situation. 
[64] Le Tribunal réfère à la décision de la Cour d’appel dans l’affaire Boleyn c Germain. Voici ce que la Cour d’appel retient du jugement de première instance :
« Le juge poursuit son analyse et conclut que les appelants ont établi qu'ils ignoraient ce vice au moment de leur acquisition, que le vice est grave, et qu'il existait au moment de la vente. Cela dit, se fondant sur le deuxième alinéa de l'article 1726 C.c.Q. et sur le jugement du juge Rochon, alors à la Cour supérieure, dans Lavoie c. Comtois, le juge estime que les appelants ne réussissent pas à établir que le vice est caché. Voici les propos du juge Rochon retenu par le juge :
[17] L'acheteur prudent et diligent d'un immeuble procède à un examen visuel attentif et complet du bâtiment. Il est à l'affût d'indice pouvant laisser soupçonner un vice. Si un doute sérieux se forme dans son esprit, il doit pousser plus loin sa recherche. D'une part, on ne peut exiger d'un acheteur prudent et diligent une connaissance particulière dans le domaine immobilier. D'autre part, on ne peut conclure au vice caché si le résultat d'un examen attentif aurait amené une personne prudente et diligente à s'interroger ou à soupçonner un problème. À partir de ce point, l'acheteur prudent et diligent doit prendre des mesures raisonnables, selon les circonstances, pour connaître l'état réel du bâtiment. Il ne saurait se replier sur son manque de connaissance si son examen lui permet de soupçonner une anomalie quelconque. 
[18] Il faut donc examiner, suivant chaque cas d'espèce, la conduite d'un acheteur prudent et diligent. Antérieurement à 1994 on exigeait également de l'acheteur qu'il soit prudent et diligent. Sans revenir à l'ancienne règle jurisprudentielle au sujet des experts, il est possible dans certains cas que le fait de ne pas recourir à un expert pourra être perçu en soi, comme un manque de prudence et de diligence. Le tribunal ne veut pas réintroduire dans notre droit une exigence spécifiquement exclue par le législateur en 1994. Par ailleurs, cette exclusion ne saurait être interprétée comme autorisant l'acheteur à agir de façon insouciante ou négligente. Cet acheteur ne fera pas preuve de prudence et de diligence alors qu'il existe des indices perceptibles pour un profane, s'il ne prend pas les moyens (y compris le recours à des experts le cas échéant) de s'assurer que l'immeuble est exempt de vice.
Selon le juge, les appelants ont fait preuve d'empressement en n'effectuant aucune visite ou inspection avant de faire leur offre d'achat. Ce n'est qu'après le rejet de leur offre initiale qu'ils ont visité les lieux, et ils n'ont passé que très peu de temps lors de la visite au sous-sol. Un tel empressement à acquérir un bien d'une valeur de 420 000 $ ne correspond pas à la conduite d'un acheteur prudent et diligent selon les critères jurisprudentiels interprétant le deuxième alinéa de l'article 1726 C.c.Q. »
[65] Malgré toute la sympathie que le Tribunal peut avoir pour Mme Nadeau, le remblai est apparent et elle a fait preuve d’imprudence, en compagnie de M. Thibert, en procédant ainsi à l’achat.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/XqQeH1

Référence neutre: [2013] ABD 93

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