mercredi 2 octobre 2013

Est immédiatement susceptible d'appel le jugement qui conclut qu'une poursuite ne constitue pas une poursuite-bâillon

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Le principe bien connu veut que le jugement qui rejette une requête en irrecevabilité ou en rejet d'action n'est pas susceptible d'appel, sauf exceptions (voir, par exemple, notre billet du 21 septembre 2010). Le principe veut également que les tribunaux québécois doivent intervenir le plus rapidement possible en matière de poursuite-bâillon (voir notre billet du 12 mars 2012). Alors est-ce qu'un jugement qui refuse de qualifier une requête introductive d'instance comme étant une poursuite-bâillon un jugement auquel il ne peut être remédié sur le fond et donc un jugement dont on peut en appeler immédiatement? La Cour d'appel vient de répondre par l'affirmative à cette question dans Cooperstock c. United Air Lines Inc. (2013 QCCA 1670).
 


Dans cette affaire, le Requérant désire en appeler d'un jugement qui a rejeté sa requête interlocutoire demandant que soit qualifiée de poursuite-bâillon l'action des Intimés. Cette dernière action demande à ce que le Requérant ne publie pas sur son site web les noms ou les coordonnées de quelque employé de United Air Lines, incluant celle des Demandeurs.

Le Requérant entretient en effet un site web depuis 1997 dont l’objectif est d’assurer « a forum for passengers and employees to voice their concerns and complaints, in the hopes that United will pay attention and act appropriately to respond to them ».

Le juge de première instance, dans un bref jugement, a rejeté la requête du Requérant (et sa requête en irrecevabilité) étant d'opinion qu'il ne s'agissait pas d'une poursuite-bâillon.

La question qui se pose est de savoir s'il s'agit d'un jugement auquel il peut être remédié plus tard. Si oui, la permission d'appeler ne pourrait être obtenue en vertu de l'article 29 C.p.c.
 
Un banc formé des Honorables juges Vézina, St-Pierre et Journet (ad hoc) en vient à la conclusion qu'il ne s'agit pas d'un jugement auquel il peut être remédié plus tard et donc qu'il est susceptible d'appel immédiat. La Cour réitère à cet égard la nécessité d'intervenir immédiatement lorsqu'on a affaire à une poursuite-bâillon (ou une poursuite qui est alléguée être une poursuite-bâillon):
[9]          La mesure provisionnelle vise l’octroi d’une protection immédiate dès qu’« il paraît y avoir abus », elle prend la forme d’une ou de plusieurs des cinq ordonnances prévues à l’article 54.3. 
[10]       Si le moyen préliminaire s’apparente d’une certaine manière à celui de la non-recevabilité (art. 165 (4)), il n’en est pas de même de la mesure provisionnelle qui s’apparente plutôt à la saisie avant jugement (art. 733) ou l’injonction (art. 751), du titre « Des mesures provisionnelles ». 
[11]       Quant au moyen préliminaire, le refus de rejeter immédiatement une action que le défendeur prétend mal fondée n’est pas définitif car « le jugement final pourra y remédier », tout comme pour le rejet d’une requête en irrecevabilité. La règle générale déniant l’appel dans ce dernier cas (art. 29) vaut tout autant dans le premier. 
[12]       Quid de la mesure provisionnelle? 
[13]       Notons d’abord qu’il y a appel, sur permission d’un « jugement qui prononce sur la requête en annulation de saisie avant jugement » (art. 26, al. 2 (2)) et en matière d’injonction, suivant la règle générale de 29 (2). 
[14]       Il doit en être de même de la mesure provisionnelle de 54.1, s’il y a apparence d’abus. 
[15]       Le législateur a voulu l’intervention du tribunal dès le début de l’instance afin de remédier à l’injustice alors existante, due à l’inégalité des forces respectives des parties en présence. Il a constaté que cette inégalité faussait le processus judiciaire en ce que les frais de défense à encourir et la menace, même peu probable, d’une condamnation à une somme élevée, avait l’effet nocif de faire taire les défendeurs et d’empêcher la participation citoyenne au débat public, essentielle entre autres à la protection de l’environnement. 
[16]       Le seul fait d’intenter une poursuite-bâillon atteint pleinement cet objectif nocif, peu importe le maintien ou le rejet de l’action à la fin du procès, alors que deux ou trois années se seront écoulées. 
[17]       En ce sens, le jugement final ne pourra remédier à l’effet bâillon créé au départ. D’où la nouvelle législation pour une intervention immédiate du tribunal. 
[18]       Dans cette optique, le jugement qui refuse d’examiner l’opportunité de la mesure provisionnelle recherchée constitue un jugement interlocutoire auquel le jugement final ne pourra remédier (art. 29). Reste bien sûr à estimer si « les fins de la justice requièrent » d’accorder la permission (art. 511).
 
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/16qi4rv

Référence neutre: [2013] ABD 394 
 

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