Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
La décision rendue ce matin par la Cour suprême dans l'affaire Payette c. Guay inc. (2013 CSC 45) sur les clauses de non-concurrence et de non-sollicitation contient des enseignements d'importance, de telle sorte que nous lui accorderons deux billets aujourd'hui. D'abord dans le présent, nous notons que la Cour, dans cette affaire, vient confirmer une notion dont nous avions traité le 11 mars 2011, c'est à dire que la clause de non-sollicitation n'a pas à contenir une limite géographique pour être valide.
Les faits de l'affaire sont relativement simples.
L'Intimée, une entreprise commerciale, a acquis des actifs appartenant à des sociétés contrôlées par l'Appelant. La convention de vente d’actifs intervenue entre les parties était assortie de clauses de non‑concurrence et de non‑sollicitation. Afin d’assurer une transition harmonieuse des opérations après la vente, les parties ont également convenu d’insérer à leur convention une stipulation précisant que l'Appelant s’engageait à travailler pour l'Intimée à temps plein à titre de consultant pendant une période de six mois.
Suivant l'expiration de cette période, l'Intimée a convenu avec l'Appelant d'un contrat de travail de durée indéterminée. À un certain moment, l'Intimée décide de congédier l'Appelant, lequel décide alors de travailler pour une entreprise concurrente.
La question centrale qui se pose est celle de savoir si les clauses de non-concurrence et de non-sollicitation contenues dans la convention de vente d'actifs s'applique en l'instance. L'Appelant fait valoir que non pour une série de motifs qu'il n'est pas nécessaire de reproduire ici.
Pour nos fins, retenons que l'Appelant conteste, entre autre, la validité de la clause de non-sollicitation au motif qu'elle ne contient pas de limitation géographique. L'Honorable juge Richard Wagner, au nom de la Cour, rejette cet argument et indique qu'une clause de non-sollicitation n'a pas à contenir une telle limitation géographique pour être valide, puisqu'elle est limitée par la clientèle visée:
[70] À l’audience, les appelants ont appuyé leur prétention en évoquant une proposition formulée par Marie-France Bich, maintenant à la Cour d’appel du Québec, suivant laquelle une clause de non-sollicitation est assujettie aux mêmes paramètres d’interprétation qu’une clause de non-concurrence et doit donc être limitée non seulement quant au temps, mais également quant au territoire : « La viduité post-emploi : loyauté, discrétion et clauses restrictives », dans Service de la formation permanente du Barreau du Québec, vol. 197, Développements récents en droit de la propriété intellectuelle (2003), 243. Cette proposition de la juge Bich a été reprise par la Cour d’appel dans l’arrêt Robitaille c. Gestion L. Jalbert Inc., 2007 QCCA 1052 (CanLII). Avec égards pour l’opinion contraire, une distinction s’impose entre une clause de non-sollicitation, d’une part, et une clause de non-concurrence, d’autre part. Je m’explique.
[...]
[72] De plus, la nature d’une clause de non-sollicitation établie dans le cadre d’activités commerciales spécialisées incite à conclure que la validité d’un tel engagement n’est pas tributaire de l’existence d’une limitation territoriale. Habituellement, l’objet de clauses de non-sollicitation est plus étroit que celui des clauses de non-concurrence et crée des obligations moins strictes que ces dernières. Comme le souligne l’auteur Patrick L. Benaroche, « les tribunaux apprécient le caractère raisonnable des clauses de non-sollicitation plus largement, car la protection visée a une portée plus restreinte qu’une véritable clause de non-concurrence », et la jurisprudence, même dans le contexte d’un contrat de travail, « se montre plus libérale à l’égard de la première que de la seconde » : « La non-sollicitation : paramètres juridiques applicables en matière d’emploi », dans Service de la formation continue du Barreau du Québec, vol. 289, Développements récents sur la non-concurrence (2008), 183, p. 193 et 200.
[73] Au surplus, je suis d’avis qu’une clause de non-sollicitation visant la totalité ou une partie de la clientèle ainsi protégée ne doit pas nécessairement comporter une limitation territoriale pour être valide, car celle-ci peut être aisément circonscrite par l’analyse de la clientèle ciblée. À titre d’exemples, dans les décisions World Wide Chemicals Inc.c. Bolduc, 1991 Carswell Que 1157, L.E.L. Marketing Ltée c. Otis, [1989] Q.J. No. 1229 (QL), et MooreCorp. c.Charette(1987), 19 C.C.E.L. 277, la Cour supérieure a rappelé qu’une restriction géographique est superflue dans la cadre d’une clause de non-sollicitation. Finalement, l’économie moderne, et notamment les nouvelles technologies, ne limitent plus la clientèle d’un point de vue géographique, ce qui témoigne généralement du caractère obsolète d’une limitation territoriale dans une clause de non-sollicitation.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/18g2yAm[74] En l’espèce, l’interprétation de la clause 10.2 qu’a donnée le juge de première instance s’éloigne de l’intention réelle des parties, qui ont négocié et accepté l’inclusion de deux clauses distinctes, l’une portant sur la concurrence et l’autre visant spécifiquement la sollicitation. Une approche pragmatique, rationnelle et cohérente demande que les deux clauses soient interprétées de façon distincte, selon les objectifs recherchés. De plus, on ne saurait faire abstraction du sens commun des mots utilisés habituellement en semblable matière. Le fait d’ajouter à la notion de sollicitation un volet de non-concurrence, alors que la clause 10.2 porte spécifiquement sur la non-sollicitation de clients de l’entreprise ou de ses employés, ne peut mener qu’à une seule conclusion logique et cohérente lorsque le libellé de cette clause est apprécié dans son ensemble : les parties ont bel et bien convenu d’obligations distinctes à la clause 10.1 et à la clause 10.2. Partant, l’omission d’inclure une limite territoriale à la clause de non-sollicitation ne permet pas, à mon sens, de conclure au caractère déraisonnable de cette dernière, laquelle est donc légale.
Référence neutre: [2013] ABD 365
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