mardi 23 juillet 2013

Une décision récente se montre très exigeante au chapitre du préjudice irréparable en matière d'injonction pour faire respecter une clause de non-concurrence

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Comme vous le savez, j'aime beaucoup écrire sur le sujet des injonctions et des clauses de non-concurrence. Or, mon savant confrère Éric Cadi vient d'attirer mon attention à une décision récente rendue sur une demande d'injonction provisoire en la matière dans laquelle la Cour se montre très exigeante en matière de préjudice irréparable (en fait, trop selon moi). Il s'agit de l'affaire Frima Studio inc. c. Poissenot (2013 QCCS 3358).
 

Dans cette affaire, la Demanderesse recherche l'émission d'une injonction provisoire contre son ex-employée (mettant en cause également son nouvel employeur) au motif que cette dernière contrevient à la clause de non-concurrence qui existait dans son contrat d'emploi.
 
La Défenderesse conteste cette demande pour plusieurs motifs, dont l'absence, selon elle, de préjudice irréparable puisque la Demanderesse n'allègue pas en quoi ses agissements lui causent un préjudice précis.
 
Saisi de cette demande, l'Honorable juge Claude Bouchard est d'avis que la position plaidée par la Défenderesse sur la question du préjudice irréparable doit être retenue et que la Demanderesse ne s'est pas déchargée de son fardeau:
[22] Il est reconnu que la compensation en dommages et intérêts pour la perte de clientèle est un recours insatisfaisant et aléatoire, puisque le dommage est difficilement mesurable, de telle sorte qu'il devient irréparable. Il est aussi reconnu que la perte d'achalandage constitue un préjudice difficilement quantifiable. 
[23] Ici, la demanderesse allègue au paragraphe 33 de sa requête qu'il est impossible d'évaluer à long terme les dommages résultant de la perte de clients et le tort causé au marché de la demanderesse. Elle en conclut qu'elle est donc en droit de demander l'émission d'une injonction interlocutoire afin de faire cesser la violation de l'engagement de non concurrence contracté par la défenderesse. 
[24] Il s'agit là d'une allégation générale, qui ne fait référence à aucun fait précis et ne démontre pas qu'à tout le moins, la demanderesse subit un préjudice en raison des agissements de la défenderesse. Celle-ci a-t-elle entrepris des démarches auprès de l'un de ses clients ou encore, le travail effectué auprès de son nouvel employeur s'apparente-t-il à celui qu'elle effectuait chez elle? La preuve n'est pas convaincante sur cet aspect. 
[25] Il ne suffit pas d'alléguer que l'employée travaille dorénavant pour une entreprise concurrente pour établir le préjudice, encore faut-il s'appuyer sur des éléments qui illustrent une forme de préjudice.  
[26] La demanderesse fait plutôt état d'appréhensions et à cet égard, les affidavits produits par la défenderesse et la mise en cause les atténuent. Notons que Tink était informée de l'existence de la clause de non concurrence et qu'elle en a tenu compte dans l'attribution de tâches à la défenderesse.
Commentaires:

Respectueusement, je suis en désaccord avec le principe posé dans cette décision.

D'abord, la question de savoir si le nouveau poste de la Défenderesse contrevient à la clause de non-concurrence fait partie de l'analyse au niveau du droit apparent. Cette question ne peut également faire partie de l'analyse au niveau du préjudice irréparable.
 
Deuxièmement, et plus important pour nos fins, comme l'ont souligné plusieurs décisions rapportées sur ce blogue, le fait pour une partie d'être privée de l'exécution en nature d'un droit contractuel (particulièrement un droit de la nature d'une clause de non-concurrence) constitue en soit un préjudice irréparable. Ainsi, une fois qu'une partie démontre violation d'une obligation de non-concurrence ou non-sollicitation, le critère du préjudice irréparable va toujours être satisfait à moins de circonstances extraordinaires.
 
Avec égards, demander à une partie requérante en injonction qu'elle démontre un préjudice additionnel me semble erroné. D'ailleurs, comme je le soulignais le 15 janvier dernier, certaines décisions indiquent que l'employeur qui attend de subir un préjudice additionnel est à risque de se voir reprocher le fait de ne pas avoir agit immédiatement.

Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/16XIm0i

Référence neutre: [2013] ABD 291

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