Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Récemment, j’ai écrit un billet sur l’approche plus libérale que semblent avoir
pris les tribunaux québécois à l’égard des clauses d’élection de for (vous
pouvez lire le billet en question ici). À la lumière du prononcé par la Cour supérieure d’une décision
intéressante sur une question connexe, j’ai décidé de revenir aujourd’hui à la
question des clauses d’élection de for et de leur validité.
En matière de
droit international privé contractuel, le législateur québécois a généralement
pris la décision de respecter la volonté des parties à l’égard du for choisi
pour débattre d’une question (que ce soit le choix d’un tribunal étranger ou
d’un tribunal arbitral), tel qu’en fait foi le dernier alinéa de l’article 3148
C.c.Q. Cependant, il a édicté quelques exceptions dans le cadre desquelles les
clauses d’élection de for ne seront pas reconnues. C’est le cas pour le contrat
de consommation ou le contrat de travail par exemple (art. 3149 C.c.Q.) lorsque
le consommateur ou le travailleur a son domicile ou sa résidence au Québec.
Une des questions intéressantes qui s’est posé rapidement est celle de savoir si
une partie à un contrat d’adhésion pouvait s’opposer à la validité d’une clause
d’élection de for au motif qu’elle était abusive. La Cour d’appel, dans United European Bank and Trust Nassau Ltd. c.
Duchesneau (2006 QCCA 652) semblait avoir rejeté cette possibilité. En
effet, dans cette affaire, l'Honorable juge Jacques Dufresne,
au nom d'un banc unanime, indiquait que le législateur avait prévu des
exceptions spécifiques à la reconnaissance d’une clause d’élection de for et que
le caractère abusif d’une telle clause dans un contrat d’adhésion n’était pas
une de ceux-là. On devait donc en conclure qu’on ne pouvait, sur cette assise
contester la validité d’une clause d’élection de
for:
[45] Le tribunal québécois, appelé à vérifier l'application d'une clause d'élection de for, peut‑il, en présence d'un contrat d'adhésion, vérifier si la clause est abusive en vertu de l'article 1437 C.c.Q., ou n'est‑il tenu que de vérifier si des règles codifiées de droit international privé font obstacle à l'application de la clause d'élection de for?
[46] La deuxième option s'impose.
[…]
[49] Le législateur n'a pas voulu, dans les règles de droit international privé, rendre inopposable aux parties une pareille clause d'élection de for parce qu'elle est d'adhésion. La protection en matière de contrat d'adhésion de ce genre ne s'applique donc que lorsque le droit québécois est le droit substantiel du contrat. Puisque le contrat en litige, par sa nature, n'est pas de ceux où une disposition impérative québécoise exige l'application du droit local, le choix de la loi des Bahamas est valide et l'exercice devrait alors se terminer.
Évidemment, cela a une incidence
importante sur les contrats électroniques pour l’utilisation de certains
services sur le web. C’est donc sans surprise que la question s’est posée depuis
dans ce contexte.
D’abord, dans l’affaire St-Arnaud c. Facebook
(2011 QCCS 1506), l’on désirait intenter un recours collectif contre l’Intimée
en raison d’une utilisation supposément inappropriée des renseignements
personnels des usagers. Or, le contrat électronique de facebook contenait une
clause d’élection de for en faveur des tribunaux californiens. Saisi de
l’affaire, l’Honorable juge Michel Déziel a donné application à
cette clause conformément à l’article 3148 C.c.Q. sans par ailleurs discuter
expressément de la question du caractère potentiellement abusif de la clause. Le
juge Déziel a également écarté l’argument basé sur l’article 3149 C.c.Q., en
était venu à la conclusion qu’il ne s’agissait pas d’un contrat de contrat eu
égard à son caractère gratuit.
Or, très récemment, dans Moko
c. Ebay Canada Ltd. (2013 QCCS 856), l’Honorable juge Richard
Nadeau en est venu à la conclusion que la clause d'élection de for
contenue dans le contrat d'utilisation électronique était invalide parce que
abusive contredisant en apparence les enseignements de la Cour d’appel sur la
question.
Dans cette affaire, les Demandeurs ont institué des procédures
judiciaires contre la Défenderesse réclamant une perte de profit anticipé pour
le gain dont ils allèguent avoir été privés suite à la décision de la
Défenderesse de mettre fin à une de leurs enchères sur son
site.
Invoquant l'existence d'une clause d'élection de for en faveur des
tribunaux californiens dans le contrat intervenu entre les parties, la
Défenderesse demande le rejet des procédures québécoises. Les Demandeurs
répliquent que cette clause d'élection de for est invalide pour deux motifs.
D'abord, il s'agirait d'une clause abusive dans un contrat d'adhésion. Ensuite,
le contrat intervenu en serait un de consommation, de sorte que la clause
d'élection de for serait inefficace.
Saisi de la question, l'Honorable
juge Richard Nadeau donne raison aux Demandeurs sur les deux
points et rejette la requête en rejet qui lui est présentée.
Le juge
Nadeau s'exprime ainsi sur sa la conclusion à laquelle le juge en arrive sur la
question de la clause abusive dans un contrat
d'adhésion:
[11] Ainsi, pour un internaute qui a de très bons yeux, et beaucoup de patience ou de détermination, il apprendra que la loi gouvernant le contrat, à tous égards, est la Loi de l'Ontario et les Lois Fédérales y applicables. Puis, surprise, et dans la suite du même paragraphe, on avise ensuite l'adhérant qu'en cas de réclamation ou dispute contre eBay, c'est le tribunal situé dans le comté de Santa Clara en Californie qui seul a juridiction ( « Must be resolved by…» ) à moins d'entente contraire.
[12] Cette disposition imposée par le stipulant, déjà surprenante pour un homme de loi comme le soussigné, puisqu'on peut se poser la question de savoir pourquoi on prend la peine d'assujettir le contrat aux Lois de l'Ontario si l'on s'en distancie ensuite pour donner seule juridiction au tribunal Californien (le texte ne dit pas lequel tribunal à Santa Clara a juridiction…) en cas de réclamation, cela n'a aucun sens dans les circonstances.
[13] En fait, cette élection de for semble avoir été insérée pour prévenir, annuler et décourager, à toutes fins utiles, quelque recours contre eBay, même si la défenderesse ici est une compagnie canadienne. On s'imagine mal un internaute, personne physique, s'engager un avocat en Californie pour y poursuivre la défenderesse, avec tous les déboursés et déboires que l'exercice pourrait impliquer.
[14] Rappelons qu'il ne s'agit pas ici d'un contrat de gré à gré signé après des négociations et où les parties choisissent un for auquel ils donnent volontairement juridiction. Il ne s'agit pas non plus d'un contrat entre des commerçants ou hommes d'affaires avertis qui transigent entre eux ou avec des institutions financières en pleine connaissance de cause. Il s'agit, comme dit, d'un pur contrat d'adhésion auquel un individu souscrit, souvent soit involontairement ou dans une ignorance relative de certaines conditions pas évidentes et dont l'importance ne leur est pas soulignée. ( art. 1435 , 2ième al. C.c.Q.)
[15] Et le tribunal croit pouvoir aller plus loin en qualifiant l'élection d'un for californien comme une disposition excessive et déraisonnable, abusive dans les circonstances, ce qui lui permet de considérer cette« élection » imposée à l'internaute comme nulle de nullité absolue. (art. 1437 et 1438 C.c.Q.)
Pourtant la décision de la Cour
d’appel dans Duchesneau semble lui avoir été citée, puisqu'il y réfère au
paragraphe 14 du jugement. Il met de côté son application en indiquant que dans
la présente affaire qu’ "il ne s'agit pas non
plus d'un contrat entre des commerçants ou hommes d'affaires avertis qui
transigent entre eux ou avec des institutions financières en pleine connaissance
de cause".
Très respectueusement, je ne pense pas que cette distinction
suffit à mettre de côté les enseignements de l'affaire Duchesneau. Il n'existe
pas plusieurs catégories de contrats d'adhésion qui justifierait que l'on fasse
la différence entre celui signé par un homme d'affaire et celui signé par deux
étudiants pour les fins de la compétence internationale des tribunaux québécois.
Le principe mis de l'avant par la Cour d'appel s'applique à tous les contrats
d'adhésion et je ne pense pas qu'il devrait être dépendant de la trame factuelle
de chaque affaire.
Reste maintenant à savoir si le débat est ré-ouvert
sur la question.
Par ailleurs, même si je ne suis personnellement pas
d’accord avec la position exprimée par le juge Nadeau sur la question du
caractère abusif de la clause, je pense tout de même qu’il en est arrivé au bon
résultat. En effet, au stade préliminaire de l’affaire qui est devant lui, il
est tout à fait raisonnable de conclure que le contrat entre les parties est un
contrat de consommation. Ainsi, par le jeu de l’article 3149 C.c.Q., la clause
d’élection de for ne pourrait pas être opposée aux consommateurs, i.e. les
Demandeurs en l’instance.
Parions que ce ne sera pas la dernière fois que
la question de l’opposabilité d’une telle clause dans un contrat électronique
sera débattue…
Le présent billet a initialement été publié sur le site d'actualités juridiques Droit Inc. (www.droit-inc.com).
Pour ceux qui sont intéressés par cette cause (Moko c. Ebay), prière de noter que la permission d'en appeler a été accordée le 24 avril 2013: http://www.jugements.qc.ca/php/decision.php?liste=68422592&doc=CE75337563A4286AA98A763764B550DCEB111CC25B4C6A798D8049932CCEECB0&page=1
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