Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Lors de l’adoption du Code civil du Québec et avec son entrée en vigueur en 1994, le
législateur québécois a pris certains grands virages. Ce fût le cas entre autre
en matière de droit international privé, où le législateur a choisi d’adopter
des dispositions grandement respectueuses de la juridiction des tribunaux
étrangers et de la volonté contractuelle des parties. En effet, dans ce dernier
cas, le deuxième alinéa de l’article 3148 C.c.Q. prévoit que les tribunaux
québécois n’auront pas compétence pour entendre un litige « lorsque
les parties ont choisi, par convention, de soumettre les litiges nés ou à
naître entre elles, à propos d'un rapport juridique déterminé, à une autorité
étrangère ».
Sans surprise, cette disposition a donné lieu à des
débats en jurisprudence et en doctrine quant aux éléments essentiels à
retrouver dans une clause d’élection de for pour qu’elle soit respectée par les
tribunaux québécois. En effet, bien que la règle mise de l’avant par la Cour
suprême dans l’affaire Zodiak
International c. Polish People’s Republic, ([1983] 1 R.C.S. 529), selon laquelle il est
nécessaire de retrouver une clause compromissoire « parfaite » pour exclure la juridiction des tribunaux en faveur
de l’arbitrage, a été également appliquée aux clauses d’élection de for, la notion
de perfection a fait couler beaucoup d’encre.
Traditionnellement, les tribunaux québécois se sont
montrés assez exigeants, insistant pour que le libellé de la clause ne laisse
aucun doute quant à l’intention des parties de soumettre exclusivement tout
litige à la juridiction d’un tribunal étranger donné. Cette tendance se
manifestait aussi récemment que dans la décision de novembre 2010 de la Cour
d'appel dans Bedford Resource Partners Inc. c. Adriana Resources Inc. (2010 QCCA 2030).
Dans cette affaire, la Cour avait jugé que la
formulation suivante n'était pas suffisante pour exclure la juridiction des
tribunaux québécois : "the parties hereby attorn to the jurisdiction of
the Courts of British Columbia in respect of all matters arising hereunder"
parce que n'y apparaissait pas le mot "exclusive" (ou un autre
indice du caractère exclusif de ce choix). Ce faisant, la Cour s’est arrêtée
exclusivement sur la formulation de la clause.
Une telle méthode d’interprétation ne cadrait pas très
bien avec le droit québécois des obligations en général, où les tribunaux nous
enseignent que l’on doit rechercher la commune intention des parties et pas
nécessairement s’arrêter au libellé strict d’une clause. Ce choix n’en était
pas pour autant incompréhensible, la présomption qui sous-tendait cette
approche étant que si les parties voulaient renoncer irrévocablement à la
possibilité de s’adresser aux tribunaux québécois, il fallait retrouver dans la
clause même une expression de volonté incontestable et inébranlable.
Or, la très récente décision de la Cour d’appel dans PIRS, s.a. c. Compagnie d'arrimage de Québec ltée. (2013 QCCA 31), semble marquer un tournant puisque
la Cour y adopte une approche beaucoup plus libérale à l'application de la
clause d'élection de for.
Dans cette affaire, la clause d'élection de for est
rédigée comme suit:
« Les parties feront leurs meilleurs efforts pour régler à l’amiable tout différend relatif à la présente lettre qui naîtrait notamment à l’occasion de sa validité, de son interprétation, de son exécution ou de sa résiliation. Tout différend qui ne pourra être résolu amiablement par les parties ainsi qu’il est dit ci-avant, dans un délai de TRENTE (30) jours à compter de sa survenance, sera soumis au Tribunal de Commerce de DRAGUIGNAN. »
Le juge de première instance a rejeté la requête de
l'Appelante en exception déclinatoire parce que, entre autres motifs, les
clauses pertinentes de la convention en cause (i) n'étaient ni mandatoires ni
obligatoires et (ii) n'excluaient pas expressément la compétence des tribunaux
québécois.
Un banc unanime composé des Honorables juges
Morissette, Hilton et St-Pierre vient renverser cette décision. En effet, la
Cour indique que ce n'est pas sur la terminologie stricte qu'il faut s'arrêter,
mais plutôt sur l'intention commune des parties. Or, une analyse de cette
intention mène ici la Cour à la
conclusion que les parties ont voulu soumettre tout différend aux tribunaux
français:
[9] [...] En d’autres termes, le formalisme qui à une certaine époque a animé la jurisprudence sur les clauses de choix de for n’est plus de mise : il faut rechercher l’intention réelle des parties sans s’arrêter à des considérations d’ordre uniquement terminologique.
[10] Or, s’il est vrai que, comme le relève le juge de première instance, les clauses 6.10 et 6.11 de la Convention de résiliation, sont rédigées différemment de celles en cause dans l’affaire Grecom, ces clauses n’en sont pas moins parfaitement claires et explicites. L’arrêt Grecom ne dicte pas de formulation obligatoire pour une clause contractuelle de choix de for. En l’occurrence, il ne peut faire de doute que, dans l’esprit de l’appelante et de l’intimée lorsqu’elles conviennent des modalités de la Convention de résiliation, le Tribunal de commerce de Draguignan est le seul tribunal compétent pour trancher « tout différend » visé par cette convention, et ce faisant, il doit appliquer le droit français. Comme une simple lecture de la Convention de résiliation démontre que le différend soulevé par la requête introductive d’instance en garantie en est bel et bien un visé par la clause 5.1, l’exception déclinatoire était fondée.
Référence neutre: [2013] ABD 57
Le présent billet a initialement été publié sur le site d'actualités juridiques Droit Inc. (www.droit-inc.com).
J'applaudis avec vous l'attitude plus accueillante qu'autrefois de la Cour d'appel à l'égard des clauses d'élection de for. Cela dit, je salue le bon mot du paragraphe 9 des motifs de la Cour d'appel, mais, par ailleurs, dans le cas concret de l'espèce, je pense que le sens ordinaire des mots "tout différend (...) sera soumis au Tribunal de Commerce de Draguignan" impliquait nécessairement, de par son caractère obligatoire, l'exclusivité, ce qui a d'ailleurs amené la Cour a exprimer l'avis que la clause était "parfaitement claire et explicite". Ce n'était pas, à mon avis, le "grand écart" en fait de démonstration de souplesse. L'esprit est bon, toutefois, c'est certain.
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