jeudi 5 juillet 2012

La Cour supérieure en vient à la conclusion qu'en l'absence de compétence sur le fond du litige, elle n'a pas non plus compétence pour émettre une injonction provisoire

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Est-il possible d'obtenir une injonction provisoire (de par sa nature urgente) de la part des tribunaux québécois même lorsqu'ils se sont déclarés incompétents pour entendre un litige? Malgré le libellé de l'article 3138 C.c.Q., la Cour supérieure en vient à la conclusion, dans  Jefagro Technologies inc. c. Vetagro, s.p.a. (2012 QCCS 2945), que ce n'est pas le cas lorsque les parties ont contractuellement accordé la juridiction exclusive à un autre forum.


Dans cette affaire, les Demanderesses recherchent l'émission d'une injonction provisoire contre les Défendeurs. Les Défendeurs contestent cette demande et l'un d'entre eux conteste la juridiction des tribunaux québécois au motif que les parties ont contractuellement convenu de soumettre la question à l'arbitrage.

Après avoir constaté que les parties avaient effectivement inclut une clause compromissoire parfaite dans leur contrat, et en être conséquemment venu à la conclusion que les tribunaux québécois n'ont pas juridiction pour entendre le litige sur le fond, l'Honorable juge Stéphane Sansfaçon se tourne vers la question de savoir si, en application de l'article 3138 C.c.Q., les tribunaux québécois peuvent quand même émettre une injonction provisoire.

Sur cette question, le juge Sansfaçon, après avoir revu les autorités pertinentes, est d'opinion que l'article 3138 C.c.Q. ne trouve pas application lorsque les parties ont conjointement décidé de conférer la juridiction exclusive sur un litige à une autre autorité:
[31] Les défendeurs soumettent que cet arrêt de la Cour d'appel devrait céder le pas devant la décision plus récente de la Cour suprême du Canada rendue dans l'affaire Grecon Dimter en 1985, quelques jours seulement avant le jugement de la Cour supérieure dans l'affaire Sonox. 
[32] Ils soumettent que cette décision de la Cour suprême crée une hiérarchie entre l'article 3148 al. 2 C.c.Q. et les articles 3136 , 3138 , 3139 et 3140 C.c.Q., et que ces derniers doivent céder le pas au premier lorsqu'il est établi que les parties ont voulu attribuer par convention la juridiction de régler les litiges entre eux à une autre juridiction. Ainsi, l'article 3138 ne trouverait application que lorsque l'absence de juridiction à laquelle cet article réfère découle du premier alinéa de l'article 3148 C.c.Q., et non de son second alinéa.  
[33] Il semble bien que la Cour suprême a adopté cette position. Bien que le litige ait trait au conflit entre l'article 3139 C.c.Q. qui traite du recours en garantie et non des ordonnances provisoires, le juge Lebel appuie son raisonnement en outre sur l'avis des auteurs Goldstein et Groffier comme suit:
"Par ailleurs, je note que plusieurs auteurs de doctrine admettent la primauté de l'art. 3148 al. 2 C.c.Q. sur l'art. 3139 C.c.Q.. De l'avis des auteurs Goldstein et Groffier, le pouvoir discrétionnaire provenant des art. 3136 , 3138 , 3139 et 3140 C.c.Q. devrait être écarté, à condition que la clause d'arbitrage entre dans le domaine d'application de la loi, qu'elle ne soit pas nulle et que le litige soit arbitrable selon la loi désignée par l'art. 3121 C.c.Q."
[34] Le Tribunal est d'avis que tel est le droit à l'égard de l'article 3138 C.c.Q. 
[35] C'est cette approche qui a été adoptée par la juge Catherine La Rosa dans l'affaire Ekinciler
[36] Par conséquent, le Tribunal déclinera juridiction aussi sur sa compétence d'émettre une ordonnance provisoire contre Vetagro S.P.A. découlant des effets du contrat qui la lie à la demanderesse Jefo Nutrition Inc.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/O9CaJt

Référence neutre: [2012] ABD 225

Autres décisions citées dans le présent billet:

1. GreCon Dimter inc. c. J.R. Normand inc., [2005] 2 R.C.S. 401.
2. Ekinciler Demir Ve Celik San, A.S. c. Bank of New-York, [2007] QCCS 1615.

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