Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
L'article 2870 C.c.Q. est exorbitant du droit ordinaire de la preuve. En effet, celui-ci fait exception à la règle générale voulant que le témoignage d'une personne doit être fait de vive voix à l'audience ou, dans certains cas, sous la forme d'une déclaration assermentée. Il s'agit en fin de compte d'une exception à la prohibition du ouï-dire. Il est donc tout à fait normal que les tribunaux se montrent exigeants dans l'application de cet article, surtout sur la question de la fiabilité des déclarations. Dans sa décision récente de Lefebvre c. Compagnie d'assurances Wawanesa (2012 QCCS 2871), la Cour supérieure indique à cet égard qu'une déclaration anonyme ne respecte pas le critère de fiabilité requis pour donner application à l'article 2870 C.c.Q.
Dans cette affaire, les Demandeurs poursuivent leur assureur à la suite de l'incendie criminel de
leur résidence survenu le matin du 25 février 2009 et ils réclament une indemnité totalisant 170 618, 98$.
Bien qu'il n'y a aucune preuve
directe de l'identité du ou des responsables de cet incendie, la Défenderesse conteste l'action au motif que, selon elle, des présomptions graves, précises et concordantes permettent de conclure que les demandeurs sont
responsables de l'incendie criminel. Pour appuyer cette prétention, la Demanderesse cherche à s'autoriser de l'article 2870 C.c.Q. pour introduire en preuve une déclaration faite par un témoin à l'enquêteur de la Sûreté du Québec qui a fait
enquête sur l'incendie:
[17] Selon le témoignage de l'enquêteur Lévesque et son interrogatoire, une jeune fille d'environ une quinzaine d'années lui aurait déclaré avoir vu une personne, une femme, sortir des boîtes de la maison incendiée le matin avant l'incendie. Elle ne pouvait nommer cette personne mais savait qu'elle habitait la maison en question. Elle aurait vu cette personne depuis l'autobus dans lequel elle se rendait à l'école. La mère de cette jeune fille, que l'enquêteur a rencontré dans la rue sur les lieux de l'incendie avec celle-ci, aurait cependant refusé que son identité soit divulguée et qu'une déclaration pouvant donner lieu à un témoignage de celle-ci soit prise. La jeune fille et sa mère n'ont pas été identifiées par l'enquêteur Lévesque. L'expert en sinistre Luc Pouliot, employé de la défenderesse, a également témoigné que, malgré plusieurs démarches qu'il a explicitées, cette jeune fille non-identifiée n'a pu être retrouvée.
L'Honorable juge Chantal Masse en vient à la conclusion que cette déclaration ne rencontre pas le critère de fiabilité prévu par l'article 2870 C.c.Q., principalement parce que le témoin en question refusa de donner son nom et n'est toujours pas connu:
[20] Le Tribunal ne peut admettre la déclaration pour faire preuve de son contenu en vertu de l'article 2870 C.c.Q. La fiabilité de cette déclaration n'est pas établie, et ce, en raison de l'absence de preuve sur les circonstances entourant la rédaction du rapport de l'inspecteur Lévesque mais, surtout, en raison du refus du témoin qui l'a faite de s'identifier. Il ne s'agit pas en effet d'une déclaration reconnue et signée par la personne qui l'a faite, mais d'une déclaration anonyme notée par le policier dans son rapport rédigé plus de deux mois après les faits.
[21] Le Tribunal ne peut autoriser qu'une déclaration qui implique des accusations de la nature de celles qui nous concernent ici soit mise en preuve sous le couvert de l'anonymat. Les procureurs n'ont d'ailleurs pas référé le Tribunal à de la jurisprudence permettant que des déclarations anonymes puissent être admises en preuve pour faire foi de leur contenu.
Le texte intégral du jugement est disponible ici:
http://bit.ly/Nb1MYF
Référence neutre: [2012] ABD 226
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