vendredi 1 juin 2012

L'expert ne peut usurper la fonction du juge en tant que maître du droit

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Le rôle fondamental de tout expert est celui d'assister la Cour dans sa recherche de la vérité et de la solution appropriée dans un litige donné. La ligne reste cependant mince entre la tentative d'assister la Cour et celle d'usurper son rôle. Celà donne souvent lieu à de bons débats, particulièrement lorsque l'expertise annoncée touche des questions de droit où le juge doit demeurer souverain comme l'illustre l'affaire Poulin c. Presse Ltée. (La) (2012 QCCS 2368).


Dans cette affaire, les Défendeurs demandent l'autorisation de déposer, à titre d'un moyen de preuve, le rapport de Me Pierre Trudel, expert dans le domaine des médias, qui s'intitule « Expertise sur la compatibilité des articles 193 et 193.1 du Code criminel avec la liberté de la presse. » Le Demandeur conteste cette demande au motif que les Défendeurs tentent, de ce fait, d'usurper la fonction du juge qui est de décider les questions de droit.

L'Honorable juge Nicole-M. Gibeau acquiesse à la position de la demande. Selon elle, l'expert proposé, aussi qualifié soit-il, empiéterais sur le territoire souverain du juge au mérite. Pour cette raison, elle refuse la production de l'expertise:
[7] Bien qu'ils soutiennent que l'expert exposera les normes et pratiques journalistiques dans le cadre de leur travail, le Tribunal note que celui-ci ne s'appuie sur aucun faits sociaux qui auraient fait l'objet d'une étude empirique qui permettrait d'émettre une opinion sur les effets prohibitifs des articles du Code criminel et en corollaire des conséquences sur le travail des journalistes. 
[8] À la lumière des réponses de Me Trudel, il est apparu que dans son domaine d'expertise, il est appelé à émettre des opinions juridiques eu égard au texte de loi et aux principes de droit énoncés par la Cour suprême dans divers arrêts. 
[9] Or, le Tribunal estime que le rapport de Me Trudel ne fait pas état de faits législatifs sociaux dans le cadre de ce litige. 
[10] Ce rapport ne traite par véritablement des normes et pratiques journalistiques bien que l'on y retrouve certains éléments pour étayer ou expliquer l'opinion juridique qui en découle. 
[11] Le Tribunal devra se livrer à l'exercice difficile de déterminer s'il y a ou non déséquilibre entre les effets bénéfiques et les effets préjudiciables de l'application des articles 193 et 193.1 du Code criminel
[12] La dynamique factuelle de ce dossier et la corrélation entre celle-ci et les conséquences de l'effet inhibiteur des articles attaqués sont analysées par l'expert comme des questions de droit. 
[13] Comme l'exprimait le juge Charles D. Gonthier :
[…] l'expert ne peut non plus en aucun cas usurper la fonction du juge en tant que maître du droit. C'est pourquoi il doit toujours se tenir en deçà de cette frontière qui, bien que parfois très mince, demeure toujours infranchissable.
[14] Le Tribunal estime que la plus grande partie du rapport de Me Trudel est une opinion juridique en ce qu'il interprète les dispositions du Code criminel, en évalue le critère raisonnable, évalue le critère de l'atteinte minimale de même que l'étendue de la portée de la notion de « vie privée ».
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/KED2YG

Référence neutre: [2012] ABD 178

1 commentaire:

  1. La Cour d'appel a accueilli l'appel en partie et déclaré que certaines autres portions du rapport étaient également recevables: http://bit.ly/UB8GXw

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