Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l/s.r.l.
En droit civil, la saisie avant jugement pratiquée en vertu de l'article 733 C.p.c. est un remède drastique, de sorte qu'il n'est pas surprenant que les tribunaux soit très exigeants sur la preuve qui doit être apportée pour justifier une telle mesure. Dans la très récente décision de E.P. c. Vandal (2010 QCCS 4395), l'Honorable juge Guy Cournoyer rappelle les critères applicables et insiste sur la nécessité d'appuyer ses prétentions d'allégations précises.
Dans une action en responsabilité civile, dans laquelle les demanderesses réclament un montant de 2 332 000 $ avec intérêts et l'indemnité additionnelle, cette dernière procède à une saisie avant jugement de certains actifs du défendeur. La partie demanderesse fonde sa crainte quant au recouvrement de la créance à venir sur les faits suivants :
Dans une action en responsabilité civile, dans laquelle les demanderesses réclament un montant de 2 332 000 $ avec intérêts et l'indemnité additionnelle, cette dernière procède à une saisie avant jugement de certains actifs du défendeur. La partie demanderesse fonde sa crainte quant au recouvrement de la créance à venir sur les faits suivants :
8.1. Le patrimoine du défendeur est limité;
8.2. Il n'est pas assuré pour les gestes posés;
8.3. 1 mois après la signification de l'action, le défendeur a cédé ses intérêts, dans le condo qu'il habite toujours, à son épouse;
8.4. Les parties ont été informées de la tenue d'une conférence de règlement à l'amiable en janvier 2010;
8.5. Le 24 février 2010, il a vendu un triplex pour une somme 440 000 $;
8.6. Le procès aura lieu au début de 2012.
Les demanderesses allèguent que le comportement, le discours et les agissements du défendeur donnent toutes les raisons de croire qu'il a l'intention d'agir à leur détriment en se départant de ses biens et qu'il manœuvre de façon à soustraire tous ses actifs d'un éventuel jugement défavorable de sorte qu'un tel jugement final ne soit plus d'aucune utilité. Le défendeur demande la cassation de la saisie au motif que les demanderesses n'ont pas démontré une crainte raisonable objective.
Le juge Corriveau rappelle d'abord les principes juridiques applicables:
[12] Dans Griffis c. Grabowska, le juge Chamberland fait une revue de quelques décisions de la Cour d'appel sur le critère applicable en cette matière. Il s'exprime ainsi :Dans L.O.M. c. É.L., ma collègue la juge Bich rappelle les principes généraux régissant l'interprétation et l'application des dispositions législatives sur la saisie avant jugement dans les termes suivants :On considère ordinairement la saisie avant jugement comme une mesure d'exception. C'est la saisie-exécution, postérieure au jugement sur le fond, qui est la norme, en effet, et non la saisie avant jugement qui a pour conséquence d'immobiliser les biens du saisi de manière préventive et qui l'empêche d'en disposer librement. Vu le caractère exceptionnel de la mesure, on affirme donc généralement que les dispositions législatives régissant la saisie avant jugement doivent être interprétées de façon restrictive, afin d'éviter le gel indu des avoirs du débiteur.
Le principe de l'interprétation stricte doit toutefois être concilié avec l'intention d'un législateur qui a tout de même permis la saisie avant jugement en vue de protéger les droits et les intérêts de certaines personnes, en certaines circonstances. Car si la saisie avant jugement est une mesure d'exception, elle est aussi une mesure à caractère conservatoire, ce dont on doit bien sûr tenir compte dans l'interprétation des dispositions législatives pertinentes. On ne doit donc pas, au nom de l'exception, succomber à un rigorisme injustifié qui neutraliserait ou dénaturerait la vocation protectrice de la saisie avant jugement. Sans ignorer les exigences du législateur, il s'agit plutôt de donner plein effet à ses prescriptions par une interprétation qui concilie la prudence de l'exception aux nécessités de la sauvegarde.Je souscris entièrement à ces commentaires et je compte m'en inspirer dans l'analyse du dossier.
Dans Toledo Engine Rebuilders Inc. c. Lefort et une autre, le juge Kaufman écrit ne pas vouloir «close the door to the possibility of a seizure before judgement in cases where the defendant, by persistent conduct, has given rise to fear that he will put the debt in jeopardy» (p. 559); il ajoute que, dans un tel cas de figure, «the affidavit, to be adjudged "sufficient", must set out fully and clearly the reasons why the plaintiff fears for his debt» et que cela «cannot be done by a simple allegation that the debt a quo is the result of the defendant's fraud» (p. 559).
La Cour revient sur la question dans Comco Roots Compressor Canada Inc. c. Aerzener Maschinenfabrik. Le juge Vallerand résume, dans ses propres mots, le commentaire du juge Kaufman (à la page 6) :Si donc il ne suffit pas que le recours lui-même soit fondé sur des agissements malhonnêtes du défendeur pour que le demandeur puisse saisir avant jugement, des reproches de malhonnêteté persistante - persistent conduct - peuvent venir étayer les soupçons que font naître des initiatives qui, quoique neutres en elles-mêmes, pourraient fort bien mettre les biens du défendeur à l'abri d'un jugement éventuel.L'allégation du demandeur voulant qu'il ait été victime d'une fraude ne suffit donc pas, à elle seule, pour justifier la saisie avant jugement. Le demandeur doit alléguer des faits précis – une allégation générale ne suffit pas! – le justifiant de craindre que sans cette mesure provisionnelle, le recouvrement de sa créance sera mis en péril. S'agissant d'une conduite malhonnête persistante (ou caractérisée), le juge pourra cependant apprécier la portée de ces faits à la lumière de cette conduite. C'est ainsi qu'un geste, un comportement ou une initiative, quoique neutre à première vue, pourra tout de même justifier le demandeur de craindre que sans la saisie avant jugement des biens du défendeur le recouvrement de sa créance ne soit mis en péril.
Dans son affidavit, comportant quelque 148 paragraphes, l'appelant raconte comment les intimés auraient manœuvré pour le dépouiller de près de 3 millions de dollars de l'automne 2007 au printemps 2009.
Pour juger de la suffisance de l'affidavit, le juge doit tenir pour avérés les faits qui y sont allégués. Il doit également prendre connaissance des documents auxquels l'affidavit réfère. Il ne peut isoler une pièce du dossier de son contexte; il doit plutôt considérer l'ensemble du tableau que lui présente l'affiant (Stopponi c. Bélanger, [1988] R.D.J. 33 ).
Revenant aux faites en l'espèce, le juge Corriveau ne retrouve pas cette conduite persistante et caractérisée. Au contraire, il juge les allégations plutôt générale de telle sorte qu'il en vient à la conclusion que la crainte objective nécessaire n'a pas été établie. Pour cette raison, il donne mainlevée de la saisie avant jugement.
Référence: [2010] ABD 105
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