par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.
Le modèle traditionnel de l'action en passation de titre voit le promettant-acheteur tenter de forcer le promettant-vendeur à lui vendre un bien (habituellement un immeuble). Est-il possible de voir l'inverse? C'est-à-dire voir un promettant-vendeur tenter de forcer le promettant-acheteur à acheter un bien? La Cour d'appel répond par la positive à cette question, mais souligne que ce n'est que dans des circonstances très limitées que cela sera possible. C'est pourquoi nous traitons de la décision rendue dans De Chanteloup c. St-Laurent (2021 QCCA 90) ce matin.
Les Appelants, les promettant-acheteurs, se pourvoient à l'encontre d'un jugement de première instance qui a accueilli une action en passation de titre les forcant à faire l'acquisition d'une maison en Estrie. Ils sont d'avis que les conditions de la passation de titre ne sont pas remplies et que l'action aurait dû être rejetée.
Au nom d'une formation unanime de la Cour d'appel, l'Honorable juge Jacques Dufresne doit se pencher sur les circonstances dans lesquelles une action en passation de titre instituée par les promettants-vendeurs pour être accueillie. En effet, si l'article 1712 C.c.Q. prévoit expressément cette possibilité, il n'en reste pas moins un obstacle de taille: le paiement du prix d'achat. Lorsqu'un promettant-acheteur demande la passation de titre l'affaire est simple: il consigne le prix de vente ou donne les garanties nécessaires à son paiement au moment du jugement (ou même après). Mais comment un promettant-vendeur peut-il contraindre un promettant-acheteur à payer le prix d'achat dans le cadre d'un recours en passation de titre?
C'est justement le fait que l'article 1712 C.c.Q. fait en sorte que le jugement vaut pour titre qui pose problème dans un tel cas et qui amène le juge Dufresne à conclure qu'une telle action en passation de titre sera généralement vouée à l'échec:
Référence : [2025] ABD 395[70] Je rappelle ici que l’acheteur peut satisfaire son obligation de consigner le prix de vente en y procédant avant l’audience sur le fond ou même, par exception, après jugement, s’il démontre au tribunal qu’il est effectivement en mesure de remplir ses obligations envers le vendeur, dont celle du paiement du prix. Dans ce cas d’exception, le paiement du prix doit cependant être garanti de quelque manière. Cela se comprend dans la mesure où l’article 1712 C.c.Q. énonce que le jugement qui fait droit à la passation de titre vaut titre, lorsque inscrit au registre foncier.[71] Cette mesure trouve aisément application dans le cas où l’acheteur veut passer titre. Il lui suffit de satisfaire à l’exigence de la consignation du prix et des autres conditions pour ne pas être freiné par le refus du vendeur de signer l’acte de vente, une fois le jugement prononcé. Bref, l’acheteur contrôle l’issue de la passation de titre ainsi ordonnée. Comme il a déjà consigné le prix de vente ou qu’il a démontré être réellement en mesure de le faire, et le consigne ensuite effectivement, il lui suffit d’inscrire à son bénéfice le jugement au registre foncier si le vendeur se refuse toujours à signer l’acte de vente. Le jugement atteste alors de la vente et il est translatif du droit de propriété. La situation est tout autre dans le cas du vendeur qui recherche la passation de titre.[72] Par analogie avec l’acheteur qui n’est pas toujours tenu de consigner à proprement parler le prix de vente, dans la mesure où il offre des garanties fermes et certaines, peut‑on soutenir qu’il en va de même pour le vendeur qui sera en mesure d’offrir un titre clair en libérant les hypothèques et autres charges à même le paiement du prix de vente?[73] Il n’y a tout simplement pas d’équipollence entre ces deux scénarios. Si toutes les conditions sont réunies pour permettre à l’acheteur d’inscrire le jugement pour valoir titre, sans le concours du vendeur, puisqu’il n’a qu’à aviser le vendeur de la consignation du prix, ce n’est pas le cas du vendeur qui ne libérerait les charges qu’après le prononcé du jugement, à même le paiement par l’acheteur du prix de vente. En effet, le jugement ainsi prononcé est conditionnel au paiement du prix, ce qu’il ne peut être, en ce sens qu’il est incompatible avec la nature même du jugement prononcé en matière de passation de titre.[74] Au contraire de l’acheteur bénéficiaire du jugement, le vendeur a peu d’emprise sur le caractère exécutoire du jugement qui lui est favorable. Il est littéralement dépendant de la volonté de l’acheteur de payer le prix. L’article 1712 C.c.Q. ne lui est alors d’aucun secours. Le jugement ne peut tenir lieu de vente et ne peut en conséquence être translatif du droit de propriété, à moins que l’acheteur n’ait effectué le paiement, lui qui, par ailleurs, refuse ou néglige de signer l’acte.[75] Cette différence notable, selon que l’initiative du recours est celle du vendeur plutôt que de l’acheteur, illustre les limites inhérentes à l’exécution en nature de l’obligation de l’acheteur. Le vendeur qui recherche passation de titre doit satisfaire deux conditions d’égale importance pour la réussite du recours. À l’exigence incontournable d’offrir un titre clair, s’ajoute la nécessité d’obtenir l’assurance du versement du prix de vente. Si le vendeur poursuivant est en mesure d’exercer un contrôle sur la première, la deuxième lui échappe.[76] L’exécution forcée du jugement en passation de titre en faveur du vendeur est inconciliable avec la nature même du jugement prononcé en vertu de l’article 1712 C.c.Q. Par définition, ce jugement ne peut être conditionnel. Il ne peut être dépendant de la volonté du promettant-acheteur de payer le prix de vente. S’il n’est jamais acquis qu’un jugement exécutoire soit, en définitive, exécuté, cette réalité est difficilement compatible, voire incompatible, avec la nature même du jugement en passation de titre.[77] En résumé, une fois rendu, le jugement doit pouvoir être inscrit pour valoir titre. C’est le cas lorsque le poursuivant est l’acheteur et qu’il a accompli ses obligations. Lorsque l’initiative du recours est celle du vendeur, ce dernier doit être en mesure, une fois le jugement prononcé, d’inscrire celui-ci pour valoir titre. Il ne lui suffit pas d’avoir offert un titre clair à l’acheteur pour obtenir un jugement en passation de titre, encore faut-il que le jugement recherché puisse être inscrit pour valoir titre sans nécessité de déployer des mesures d’exécution de jugement pour obtenir le paiement du prix de vente. Bref, il faut se rendre à l’évidence, la résistance de l’acheteur à payer le prix de vente laisse au vendeur, sauf en de rares cas, le recours en dommages-intérêts après revente de l’immeuble, comme seul recours utile.[78] Dans ces conditions, quels peuvent être les cas qui donnent ouverture à l’action en passation de titre à l’initiative du vendeur? Ils sont sans doute peu nombreux, mais il y a néanmoins des situations qui s’y prêtent. À titre indicatif seulement, cela pourrait être le cas d’une transaction complétée sans contrepartie d’un prix de vente, mais avec obligation d’assumer certains coûts ou frais. L’exemple qui vient à l’esprit est celui de la prise à son compte des frais de décontamination du terrain vendu, ce qui, en quelque sorte, tient lieu de prix de vente. Autre cas de figure, le prix de vente est déjà en fiducie entre les mains du notaire, lorsqu’une difficulté se soulève. Le jugement ordonnera à ce dernier de verser le prix au vendeur, une fois l’obstacle levé. Ainsi, le jugement pourra être inscrit pour valoir titre, et ce, même si l’acheteur refuse de signer l’acte de vente.[79] En définitive, il ne suffit pas, dans le cas où l’initiative du recours est celle du vendeur, de s’assurer, au moment de rendre jugement en matière immobilière, que le vendeur a satisfait à son obligation d’offrir un titre clair, c’est-à-dire libre de toute charge. Le jugement à rendre doit, avant tout, être inconditionnel, c’est-à-dire valoir de titre de propriété, une fois inscrit au registre foncier, et ce, sans égard à la volonté de l’acheteur. Sans exclure la possibilité de consentir, en certaines circonstances, un délai au vendeur pour libérer les charges, encore faudrait-il être dans une de ces situations rares où le jugement serait assuré d’être translatif du droit de propriété, une fois les charges libérées.
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