par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.
Nous avons traité ce matin des grandes difficultés qui attendent un promettent-vendeur qui intente une action en passation de titre et des enseignements de la Cour d'appel dans l'affaire De Chanteloup c. St-Laurent (2021 QCCA 90). La solution à ces difficultés - notamment l'absence de consignation du prix de vente - serait-elle l'obtention d'une injoncton interlocutoire forcant le promettant-acheteur à déposer les fonds en fidéicommis? Selon l'Honorable juge Horia Bundaru dans l'affaire IMP Group Limited c. Satys Aerospace (2025 QCCS 1842), ce serait le cas.
Dans cette affaire, la Demanderesse souhaite forcer l’exécution en nature de la transaction par laquelle la Défenderesse devait acheter ses actifs. Elle dépose une Demande introductive d’instance demandant un jugement en passation de titre et, au stade interlocutoire, une ordonnance forcant la Défenderesse à consigner le prix de vente sous écrou et d’effectuer certaines autres démarches nécessaires à l’accomplissement des conditions de clôture.
La Défenderesse conteste cette demande pour plusieurs motifs, dont le fait que le recours intenté par la Demanderesse est voué à l'échec.
Après analyse, le juge Bundaru en vient à la conclusion que la demande d'injonction interlocutoire doit être accueillie. Il souligne qu'il serait contraire à l'intérêt de la justice de permettre à un promettant-acheteur de se libérer de ses engagements en refusant simplement de s'exécuter. Il ajoute que la présence des fonds en fidéicommis est une des circonstances exceptionnelles où la Cour d'appel a indiqué que le recours en passation de titre du promettant-vendeur pourrait avoir lieu:
[80] Il est maintenant bien établi que, s’agissant d’une action en passation de titre instituée par l’acheteur déçu, il n’est pas nécessaire que celui-ci consigne le prix de vente au moment où il institue son action. Il peut le faire par la suite, avant l’instruction.[81] Il n’y a aucune raison pour laquelle le vendeur déçu se verrait imposer une règle plus exigeante en ce qu’il serait tenu de démontrer, au moment de l’institution de l’action, qu’il a obtenu l’assurance du versement du prix de vente par l’acheteur.[82] Il est vrai que, comme le fait remarquer la Cour d’appel dans l’arrêt De Chanteloup, le vendeur déçu se retrouve à cet égard dans une position beaucoup plus difficile : « il faut se rendre à l’évidence, la résistance de l’acheteur à payer le prix de vente laisse au vendeur, sauf en de rares cas, le recours en dommages-intérêts après revente de l’immeuble, comme seul recours utile ».[83] Cela ne veut toutefois pas dire que le vendeur déçu ne sera jamais en mesure, entre le moment où il institue son action et le moment où l’affaire est instruite au mérite, d’obtenir l’assurance du versement du prix de vente par l’acheteur et, de manière plus générale, de démontrer que l’ensemble des conditions donnant ouverture à la passation de titre sont satisfaites.[84] Un des outils à la disposition du vendeur déçu est le recours en injonction interlocutoire afin de forcer l’acheteur récalcitrant à verser sous écrou le prix de vente. S’il y parvient, il pourra alors s’inscrire dans un des rares cas de figure où la Cour d’appel a reconnu que le recours en passation de titre lui est ouvert :[78] Dans ces conditions, quels peuvent être les cas qui donnent ouverture à l’action en passation de titre à l’initiative du vendeur? Ils sont sans doute peu nombreux, mais il y a néanmoins des situations qui s’y prêtent. À titre indicatif seulement […] le prix de vente est déjà en fiducie entre les mains du notaire, lorsqu’une difficulté se soulève. Le jugement ordonnera à ce dernier de verser le prix au vendeur, une fois l’obstacle levé. Ainsi, le jugement pourra être inscrit pour valoir titre, et ce, même si l’acheteur refuse de signer l’acte de vente.
[Nos soulignements][85] La possibilité pour un créancier lésé d’avoir recours à l’injonction dans le cadre d’une approche par étapes afin de forcer, dans un premier temps, son débiteur à exécuter une obligation constituant une condition de la vente pour ensuite, dans un second temps, obtenir un jugement en passation de titre, a été reconnue par les tribunaux.[86] Ainsi, dans l’arrêt Houlachi, la Cour d’appel a suggéré que le juge de première instance aurait pu procéder par étapes en rendant, dans le cadre de la même instance, d’abord un jugement interlocutoire ordonnant à l’acheteur de consigner le prix de vente, puis un jugement au mérite sur la passation de titre :[67] Another was to dispose of the matter sequentially. First, upon finding that respondents [i.e. les acheteurs] were entitled to succeed on their action in conveyance of title, the trial judge could have rendered an interlocutory judgment: (1) recognizing the right of respondents to acquire ownership of the property against payment of the agreed price; (2) declaring the tendered deed valid and sufficient; and (3) ordering respondents to deposit the purchase price into Court within a fixed and reasonable delay. Later, upon proof of the required deposit, he could by final judgment have transferred title and made the appropriate ancillary orders.[Nos soulignements et caractères gras][87] Dans l’arrêt Aéroterm de Montréal rendu en 1998, la Cour d’appel a confirmé que le recours en injonction est approprié pour forcer l’exécution en nature des étapes préalables à la naissance de l’obligation de passer titre qui sont prévues à une promesse bilatérale de vente :La promesse bilatérale de vente ou d’achat, par laquelle à certaines conditions, une partie s’engage à vendre un immeuble et l’autre s’engage à l’acheter, est un contrat (ou un avant-contrat), dont découlent des droits et des obligations pour l’une et l’autre partie […] En cas d’inexécution, la partie lésée peut exercer, à son choix, un recours en exécution forcée en nature de l’obligation contractée ou un recours en dommages. À l’instar de tout contrat, une promesse bilatérale de vente est susceptible d’exécution forcée. En droit civil québécois, l’exécution en nature est d’ailleurs la règle et l’exécution par équivalent, l’exception […]Si les parties à une promesse bilatérale de vente, comprenant plusieurs étapes et conditions, en sont au point où l’obligation formelle de passer titre est née, le recours en exécution forcée en nature prend la forme classique de l’action en passation de titre […] avec les exigences que l’on connaît en ce qui concerne, règle générale, l’offre et la consignation du prix de vente. Par contre, si les parties à cette même promesse bilatérale n’en sont pas encore à l’étape où l’obligation de passer titre est née, le recours prend la forme du recours exercé en l’espèce alors que l’appelante demande au tribunal d’ordonner à l’intimée d’exécuter, en nature, les obligations qu’elle a contractées aux termes de leur entente et qui sont préalables à l’obligation ultime de passer titre.[Nos soulig][88] Il est à noter que dans cet arrêt, la Cour d’appel a suggéré que si, au moment où l’acheteur déçu intente son action en justice, l’obligation de passer titre n’est pas encore née parce que les étapes préalables ne sont pas encore franchies, « un recours en passation de titre risquerait fort d’être déclaré irrecevable parce que prématuré ». De l’avis du Tribunal, compte tenu des enseignements de l’arrêt Zanetti rendu en 2012, discuté plus haut, ce commentaire ne représente pas l’état du droit actuel. Dans le contexte d’une transaction commerciale complexe comme celle en l’espèce, exiger que le créancier lésé par un débiteur récalcitrant institue d’abord une série d’actions en injonction au mérite pour forcer son débiteur à exécuter diverses conditions préalables à la clôture de la transaction, au fur et à mesure qu’elles deviennent dues, puis attende que des jugements finaux soient rendus – ce qui est susceptible de prendre plusieurs années – avant de pouvoir instituer une action en passation de titre rendrait l’exécution en nature de la transaction illusoire. L’approche souple et créative préconisée par la Cour d’appel dans l’arrêt Zanetti milite plutôt, lorsque cela est possible – ce qui dépendra des circonstances de chaque cas, notamment de la manière dont les parties ont structuré la transaction – en faveur d’une approche par étapes dans le cadre d’une seule et même instance portant, au stade interlocutoire, sur l’accomplissement par le débiteur récalcitrant des conditions préalables à la clôture de la transaction et, au mérite, sur la passation de titre.[89] En l’espèce, l’APA prévoit l’obligation de Satys de verser le prix de vente sous écrou avant la clôture et la Demande introductive d’instance est greffée d’une demande pour l’émission d’une ordonnance d’injonction interlocutoire visant à forcer Satys à exécuter cette obligation de manière que, au moment de l’instruction, cette condition préalable à la clôture soit satisfaite.[90] Dans ces circonstances et considérant l’état du droit exposé ci-haut, le Tribunal est d’avis que les allégations de fait de la Demande introductive d’instance, tenues pour avérées, sont susceptibles de donner ouverture aux conclusions de passation de titre recherchées par IMP.
La Cour d'appel vient d'accorder la permission d'en appeler de ce jugement il y a quelques jours dans Satys Aerospace c. IMP Group Limited (2025 QCCA 1210) et il sera très intéressant de voir si elle confirmera qu'il s'agit la façon de faire.
Référence : [2025] ABD 396
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