
Renno Vathilakis Inc.
L'article 34 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité permet au syndic à la faillite de s'adresser à la Cour relativement à toute question touchant l'administration de l'actif du failli. Dans l'affaire Syndic de Bopack inc. (2025 QCCS 1531), l'Honorable juge Ian Demers devait déterminer la portée de cet article et souligner si son champs d'application est large ou restreint.
Dans cette affaire, le syndic désire saisir la Cour de la question de savoir si un montant présentement détenu dans le compte en fidéicommis d'une firme d'avocat doit lui être remis.
Les autres parties contestent cette demande et soumettent qu'une demande pour instructions n'est pas le moyen approprié pour trancher la question. Selon elles, un tel recours est limité aux questions procédurales ou de simple administration, à l'exclusion des questions de droit ou mixtes.
Après analyse des autorités pertinentes, le juge Demers en vient à la conclusion qu'il faut donner une portée large à l'article 34 LFI par soucis d'efficacité et de saine gestion de la faillite:
[12] Le paragraphe 34(1) de la L.f.i. dispose :34 (1) Un syndic peut demander au tribunal des instructions relativement à toute question touchant l’administration de l’actif d’un failli, et le tribunal donne par écrit les instructions, s’il en est, qui peuvent être appropriées aux circonstances.34 (1) A trustee may apply to the court for directions in relation to any matter affecting the administration of the estate of a bankrupt and the court shall give in writing such directions, if any, as to it appear proper in the circumstances.[13] Les mots clés sont « toute question touchant l’administration de l’actif d’un failli » / « in relation to any matter affecting the administration of the estate of a bankrupt ».
[14] Un libellé aussi large suppose que les instructions peuvent porter sur une multitude de questions dans la mesure où l’administration de l’actif du failli est en jeu. Les questions de procédure sont incluses, mais il peut également s’agir de questions plus substantives comme la vente d’un bien ou l’inclusion d’un bien ou d’un revenu dans le patrimoine du failli[4]. En l’absence de lien avec l’administration de l’actif, la procédure ordinaire est de mise, notamment si le litige met en cause des tiers entre eux ou le syndic et des tiers[5].
[15] La diversité des questions tranchées dans le cadre d’une requête pour instructions témoigne de la possibilité qu’elle soit contestée, de leur complexité et de leur portée : la priorité de créances[6], la solidarité d’une dette et le droit de saisir et vendre un avion[7], l’interprétation d’un contrat[8], le droit de rétention d’un bien[9], la priorité de la demande formelle de paiement d’une autorité fiscale sur les autres créances[10], le paiement de frais conformément à l’art. 147 de la L.f.i.[11], la disposition d’une somme d’argent par le syndic et son pouvoir de conclure un contrat initié avant la cession[12], l’obligation du syndic de retenir certains montants des dividendes versés aux anciens employés d’une débitrice[13], l’opposabilité d’une vente en bloc[14] ou le désistement du syndic à l’égard de poursuites judiciaires[15].
[16] Il est vrai qu’une partie de la doctrine ne semble pas adopter une approche aussi large. Pour Houlden, Morawetz et Sarra, la requête pour instructions ne permet pas au Tribunal d’indiquer à des tiers comment ils doivent agir, de trancher des questions mixtes de fait et de droit, de fait, de fond ou complexes[16]. Pour Deslauriers,[…] Les directives demandées doivent concerner des questions de pure administration »; conséquemment, elles ne peuvent porter sur « la validité d’une hypothèque ou déclarer si un immeuble fait ou ne fait pas partie de l’actif. Il s’agit de litiges portant sur la déclaration d’un titre de propriété, genre de décision incombant à la Cour supérieure. Une demande d’instruction ne peut servir à régler des questions de droit complexes entre le syndic et des tiers […][17].[17] Cependant, l’attitude des tribunaux est plus nuancée. Malgré une interprétation restrictive du par. 34(1) de la L.f.i., ils ont parfois instruit le litige au fond[18] ou circonscrit la portée de leurs instructions[19]. Dans d’autres cas, ils ont jugé que le litige ne se prêtait pas à une procédure sommaire[20].
[18] L’interprétation restrictive du par. 34(1), qui suppose une procédure beaucoup plus lourde, risque d’entamer davantage l’actif du failli, déjà déficitaire, et de creuser les pertes des créanciers en engageant des frais de représentation importants. Elle ne doit pas être retenue.
[19] L’interprétation large du par. 34(1) doit prévaloir. Les instructions peuvent porter sur l’application de la partie V de la L.f.i. intitulée « Administration des actifs » comme sur la partie IV, « Biens du failli ». Tant qu’elles sont liées à l’administration de l’actif du failli, elles peuvent également porter sur d’autres parties de la L.f.i. Elles ne sont pas limitées à des questions de droit; autrement, le législateur l’aurait précisé. D’ailleurs, la présence de questions mixtes ou de questions de fait ne constitue pas un barème utile, surtout que rares sont les instances où les faits ne sont pas contestés, ne serait-ce qu’en partie.
[20] Leur degré de complexité importe peu. La complexité est une notion subjective qui ne permet pas de départager avec suffisamment de prévisibilité les questions qui peuvent faire l’objet d’instructions de celles qui ne le sont pas. Le libellé du par. 34(1) n’y fait pas allusion. Cela dit, certaines questions sont effectivement plus complexes que d’autres; elles pourront être instruites adéquatement par la gestion de l’instance et une procédure permettant à tout intéressé d’être entendu : il doit recevoir signification de la requête[21] et pouvoir présenter une preuve par affidavit ou par témoin[22]. Ainsi, le Tribunal pourra traiter adéquatement toutes les questions soulevées par une requête sans les classifier d’abord.
Référence : [2025] ABD 200
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