lundi 9 décembre 2024

L'article 235 C.p.c. ne permet pas à une partie de demander la communication de tous les échanges entre une partie et son expert

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Lors de la dernière réforme de la procédure civile, le législateur a innové en introduisant l'article 235 C.p.c. lequel prévoit que l'expert est tenu de dévoiler les instructions qu'il a reçu. Il s'agit d'un accroc explicite au secret professionnel qui serait autrement applicable. Il n'en reste pas moins, comme le rappelle l'Honorable juge Bernard Tremblay dans Allen Entrepreneur général inc. c. Ville de Shawinigan (2024 QCCS 19), que cette disposition ne permet pas à une partie de demander la communication de tous les échanges entre un expert et l'avocat qui l'a mandaté.


Dans cette affaire, une des Défenderesses en garantie demande la communication de plusieurs échanges écrits entre la Défenderesse et son expert. Elle soumet qu'il s'agit de la seule façon pour elle de vraiment connaître le mandat qui a été donné par la Défenderesse à son expert et que l'article 235 C.p.c. permet expressément l'exercice.

Pour sa part, la Défenderesse soumet qu'il s'agit d'une incursion impermissible dans la shpère du secret professionnel. Elle s'objecte donc à la demande.

Le juge Tremblay souligne d'abord la nature novatrice de l'article 235 C.p.c. et la brèche qu'il a créé au secret professionnel:
[17] C’est en vertu de l’article 235 que s’articule la demande de Suez qui soutient que les échanges de courriels visés par sa demande de communication sont des instructions reçues par l’expert et que de telles instructions font exception au secret professionnel dont l’article 9 de la Charte des droit et libertés du Québec assure la protection et qui doit, à ce titre, recevoir une interprétation large et libérale.

[18] Le Tribunal prend acte de cette approche voulant que l’article 235 C.p.c. puisse constituer une exception au privilège découlant du secret professionnel qui autrement doit recevoir application de façon large et libérale, puisque le dossier de l’expert est, de prime abord, privilégié.

[19] Ainsi, demeurent visés par le secret professionnel les notes de l’expert, ses brouillons, projets et versions antérieures de son rapport.

[20] Le mandat peut être subséquemment modifié et les instructions reçues à cette fin sont également visées par l’article 235 C.p.c., lesquelles n’incluent pas toutefois les échanges entre les experts avec leurs clients ou les avocats de ceux-ci.

[21] Le but recherché par le législateur en permettant à une partie d’obtenir les instructions reçues par l’expert retenu par une autre partie, est de s’assurer que l’expert satisfasse aux exigences d’objectivité, d’impartialité et de rigueur lui incombant dans l’accomplissement de sa mission.

Il conclut cependant qu'on ne peut s'autoriser de cet article pour demander toutes les communications entre une partie et son expert: 
[26] Même si le terme « instructions » employé par le législateur peut avoir une portée très large, celui-ci ne peut viser la stratégie déployée par une partie, avec le concours de ses avocats et de ses experts dans le cadre de la préparation d’un litige, et ce, bien que cet exercice puisse de façon incidente entraîner des commentaires sur le contenu d’un projet de rapport d’expert, comme attirer l’attention de l’expert sur des points techniques particuliers sur lesquels celui-ci devrait davantage élaborer ou approfondir son analyse.

[27] Le Tribunal estime par conséquent que le privilège relatif au litige s’applique en l’espèce à ces cinq échanges de courriels, ainsi que celui relatif au secret professionnel. 
 Référence : [2024] ABD 502

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