mardi 2 janvier 2024

Les critères à satisfaire pour que l'article 178(1)(e) LFI trouve application et qu'une dette ne soit pas libérée par une faillite

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Nous traitons ce matin d'une décision récente rendue en matière de faillite et insolvabilité. En effet, dans l'affaire Compagnie d'assurance d'hypothèques Sagen Canada c. Cyr (2023 QCCS 4763), l'Honorable juge Patrick Ouellet traite des critères à satisfaire pour que l'article 178(1)(e) LFI trouve application et qu'une dette ne soit pas libérée par la faillite du débiteur de celle-ci.


La Demanderesse, qui a intenté une action en dommages contre les Défendeurs, recherche contre deux d'entre eux qui ont fait cession de leurs biens après l'institution des procédures civiles une déclaration à l'effet que cette faillite ne les a pas libéré de leur obligation. La Demanderesse fait valoir qu'elle satisfait aux critères de l'article 178(1)(e) LFI et que les Défendeurs ne devraient pas pouvoir profiter de leurs fausses représentations.

C'est dans ce contexte que le juge Ouellet rappelle les critères applicables en la matière:
[67] La Cour suprême du Canada rappelait récemment que le créancier désirant se prévaloir de cette disposition a le fardeau d’établir, par prépondérance de probabilités, les quatre éléments suivants : (i) que le débiteur lui a fait une représentation; (ii) que cette représentation était fausse; (iii) que le débiteur savait cette représentation fausse; et (iv) que cette fausse représentation a été faite dans le but d’obtenir un bien ou un service. 
[68] Cette disposition, étant une exception au principe de la libération complète du failli, doit être interprétée restrictivement. L’intention de frauder du débiteur doit être établie selon une « preuve prépondérante de qualité ». L’intention de frauder doit exister dans l’esprit du débiteur lui-même et être présente au moment où la représentation a été faite.

[69] Finalement, comme l’alinéa 178 (1) e) LFI n’est applicable qu’à « l’obtention de biens ou de services », sa portée est limitée au bien ou service ainsi obtenu ou à sa valeur, mais exclut les dommages-intérêts. La portion non-libérée de la dette doit donc être limitée en conséquence. En effet, le paiement par Sagen d’autres frais tels les taxes, les coûts d’entretien, les frais de condo, d’évaluation ou d’agent d’immeubles, bien qu’ils puissent être qualifiés de dommages encourus par Sagen, ne représentent pas la valeur de biens obtenus par l’emprunteur par faux-semblants ou présentation frauduleuse des faits. Seules les sommes effectivement prêtées sont des biens obtenus frauduleusement.
Après analyse des faits pertinents, le juge Ouellet en vient à la conclusion que la faillite des deux Défendeurs ne les libère pas. Il conclut cependant que cette déclaration ne non-libération ne vaut pas pour l'entièreté des dommages puisque l'article 178(1)(e) ne vise pas les dommages-intérêts:
[329] Il ne peut être raisonnablement contesté que Daniel et Alexandre Nadeau ont obtenu des sommes d’argent substantielles « par des faux-semblants ou la présentation erronée et frauduleuse des faits ». Cependant, rappelons que la portée de l’alinéa 178 (1) e) LFI est limitée à « l’obtention de biens ou de services » ainsi obtenus ou à leur valeur, mais exclut les dommages-intérêts. Le quantum des dommages causés à Sagen est plus élevé que les montants reçus par le Groupe Nadeau, mais compte tenu de la jurisprudence applicable, le Tribunal déclarera que seules les sommes reçues par le Groupe Nadeau représentent des dettes non-libérées par la faillite de Daniel et Alexandre Nadeau. 
[330] La somme totale reçue par Daniel Nadeau et 9275-9398 Québec inc. de Garceau et ses entreprises se chiffre à 192 871,28$. Cette somme comprend les taxes applicables, mais compte tenu des circonstances et du comportement malhonnête de Daniel Nadeau, le Tribunal conclut que ces sommes n’ont probablement pas été remises aux autorités. L’entièreté de la somme sera donc déclarée comme non-libérée par la faillite de Daniel Nadeau. À cette somme s’ajouteront les autres paiements effectués en faveur de Nadeau par certains acheteurs, soit 30 000 $ payés comptant par Cyr, 20 000 $ payés comptant par St-Hilaire et 10 000 $ payés par St-Hilaire sur la carte de crédit de Daniel Nadeau. Le total de la somme reçue par Daniel Nadeau et sa compagnie se chiffre donc à 252 871,28 $. 
[331] À la lumière du rôle central joué par Daniel Nadeau dans l’élaboration du stratagème frauduleux, le Tribunal est d’avis que les sommes reçues par Alexandre Nadeau et sa compagnie doivent s’ajouter à la dette de Daniel Nadeau qui ne sera pas libérée par sa faillite. En effet, la preuve démontre que Daniel Nadeau utilisait son frère Alexandre pour arriver à ses fins. Il serait inéquitable que la somme reçue par Alexandre ne soit pas aussi déclarée non-libérée à l’égard de Daniel. Le Tribunal déclarera donc que la dette de Daniel Nadeau n’est pas libérée par sa faillite, jusqu’à concurrence de la somme de 607 281,80 $. 
[332] En ce qui concerne Alexandre Nadeau, seules les sommes reçues par sa compagnie sont déclarées non-libérées par sa faillite, pour un total de 354 410,52 $.
Référence : [2024] ABD 3

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