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Règle générale, l'annulation d'une vente entraîne l'obligation pour les parties de restituer les prestations en nature. Exceptionnellement, le législateur prévoit la possibilité pour la Cour d'ordonner la restitution par équivalent lorsque la restitution en nature s'avère impossible ou lorsqu'elle aurait pour effet d'accorder à une partie un avantage indû. Comme le souligne la Cour d'appel dans l'affaire 6262953 Canada inc. c. 8353107 Canada inc. (2023 QCCA 1615), la partie qui allègue que l'exception doit s'appliquer a le fardeau de prouver les faits nécessaires en première instance.
La Cour est saisie d'un pourvoi à l'encontre d'un jugement de première instance qui a conclu à l'existence d'un stratagème frauduleux mis en place par les Appelants, rejeté leur action pour le paiement de la balance de prix de vente suite à la vente de leur entreprise aux Intimés, prononcé l'annulation de la vente et ordonné la restitution en nature des prestations des parties.
Les Appelants sont d'avis que le juge de première instance a commis plusieurs erreurs dans son jugement. Une de ces erreurs aurait trait à sa conclusion ordonnant la restitution des prestations en nature. Les Appelants font valoir que l'annulation étant prononcée quatre (4) ans après la vente, il n'était pas possible de véritablement remettre les parties en état et que la Cour supérieure aurait donc du privilégier la restitution par équivalent.
L'Honorable juge Jocelyn Rancourt, écrivant pour une formation unanime de la Cour, est d'avis que l'argument des Appelants doit échouer. En effet, ces derniers n'ont pas fait la preuve pertinente en première instance, ni plaidé alors la question, qui aurait permis au tribunal de première instance de passer outre la règle générale applicable en la matière. En effet, il incombait aux Appelants de démontrer que la restitution en nature des prestations était impossible ou injuste dans les circonstances:
[41] Dans les faits, le juge a retenu la position des intimés qui demandaient l’annulation du contrat pour dol, la remise des parties en l’état et le remboursement du prix de vente payé, en échange de la remise des actifs acquis des appelants[26]
[42] Les appelants invoquent également que le dispositif du jugement qui leur ordonne de rembourser 1 721 169 $, en échange des actifs, procurerait aux intimés un avantage indu au sens de l’article 1699 al. 2 C.c.Q. Ils allèguent que les intimés auraient néanmoins bénéficié de leur stratagème frauduleux pendant quatre années et qu’il s’agit là d’un avantage indu. Le juge aurait donc dû, pour ce motif, refuser la restitution des prestations.
[43] Comme le souligne le professeur Pascal Fréchette, « la partie qui désire que le tribunal use de ce pouvoir doit présenter sa demande en temps utile, c’est-à-dire avant que le jugement ne soit rendu »[27]. Or, la preuve d’un avantage indu n’a jamais été administrée par les appelants en première instance.
[44] Quant à l’argument du stratagème frauduleux dont les intimés auraient bénéficié pendant quatre années, l’argument détonne. Suffit-il de rappeler que les intimés ont conclu un contrat de bonne foi avec les appelants. Ces derniers ont usé de manœuvres dolosives qui ont placé les intimés dans une position commerciale extrêmement délicate, comme l’a démontré l’expert Edgar Baum dans son rapport d’expertise[28].
[45] J’ajoute également que les intimés étaient en droit, conformément à l’article 1704 C.c.Q., de faire leurs les fruits et les revenus produits par les actifs qu’ils rendent ici aux appelants.
[46] En somme, le principe de la restitution des prestations en nature a dûment été appliqué envers chacune des parties et les conclusions du juge à cet égard sont hors d’atteinte en appel.
[47] Une fois cela dit, il va de soi que le juge n’avait pas à s’interroger sur l’exception de la restitution des prestations par équivalent, au sens de l’article 1700 al. 1 C.c.Q.
[48] C’est pourtant ce que les avocats des appelants nous invitent à faire en appel. Ils sont d’avis que le juge aurait dû conclure à une restitution par équivalent en raison de l’impossibilité pour les intimés de restituer en nature leurs actifs.
[49] L’argument, très habilement amené, je dois le reconnaître, se bute cependant à un rempart de taille : c’est que les appelants n’ont jamais abordé la question de la restitution des prestations en première instance, et ce, tant dans leur preuve que dans leur plaidoirie. L’examen minutieux des notes sténographiques permet d’affirmer que leur théorie de la cause devant le juge a uniquement consisté à remettre en question le bien-fondé du congédiement de l’appelant Noël. Il est difficile, dans ces circonstances, de reprocher au juge de ne pas avoir appliqué l’exception de la restitution des prestations par équivalent.
Référence : [2024] ABD 9
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