vendredi 5 janvier 2024

Il est possible de faire homologuer une sentence arbitrale purement déclaratoire

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Est-il possible de demander l'homologation d'une sentence arbitrale dont les conclusions sont purement déclaratoires? C'est la question à laquelle devait répondre l'Honorable juge Bernard Tremblay dans l'affaire Société des établissements de plein-air du Québec c. Station Mont-Ste-Anne inc. (2024 QCCS 2). Il en vient à la conclusion que la réponse à cette question est affirmative. La Cour d'appel est cependant présentement saisie d'un pourvoi à l'égard de la décision.


Dans cette affaire, la Défenderesse s'oppose à l'homologation d'une sentence arbitrale rendue par l'Honorable Clément Gascon, Ad.E, au motif que la sentence est purement déclaratoire et qu'elle n'est pas susceptible d'exécution forcée. Pour sa part, la Demanderesse fait valoir que la sentence règle le différend entre les parties et que rien ne s'oppose à ce qu'une sentence déclaratoire soit homologuée par la Cour.

La position de la Défenderesse se base sur une décision rendue il y a plus de 35 ans par la Cour d'appel dans l'affaire Québec (Régie de l'assurance maladie) c. Fédération des médecins spécialistes du Québec (1987 CanLII 901) où l'Honorable juge Vallerand - au nom de la majorité - avait écrit: 
[18] La sentence dont on demande ici l'homologation aux fins d'exécution, faute qu'elle dise précisément à quoi elle condamne, ne condamne à rien et, à ce titre, ne saurait faire l'objet d'une homologation destinée à la rendre exécutoire.
Après analyse de la question, le juge Tremblay donne raison à la Demanderesse au motif que rien n'indique que le législateur veut exclure les sentences arbitrales déclaratoires du régime d'homologation:
[4] L’article 645 du Code de procédure civile prévoit la possibilité d’obtenir l’homologation d’une sentence arbitrale afin que celle-ci acquiert la force exécutoire se rattachant à un jugement du Tribunal. 
[5] L’article 646 énumère pour sa part, de façon exhaustive, les motifs pouvant être invoqués afin de s’opposer à la contestation de l’homologation d’une sentence arbitrale. 
[6] Le caractère déclaratoire ou non d’une sentence arbitrale n’est pas un motif mentionné à cette disposition législative. 
[7] De plus, une sentence arbitrale de nature déclaratoire a déjà été homologuée par notre Cour dans l’affaire Corporation Centre-du-Québec c. Hep Simage inc.[1] 
[8] Également, et ce, par analogie, notre collègue, l’honorable Bernard Synnott, j.c.s., décide dans une autre affaire qu’une disposition particulière de la loi qui octroie à la Cour supérieure le pouvoir d’homologuer la décision d’un arbitre, sans égard à son caractère déclaratoire ou non, doit trouver application[2]
[9] Dans le cas présent, la convention d’arbitrage signée par les parties les 7 et 11 juillet 2023 définit le différend qu’elles soumettent à l’arbitrage et stipule que l’Arbitre est requis de trancher ce différend. 
[10] Dans les premiers paragraphes de sa sentence fort élaborée et très étoffée, l’Arbitre prend bien soin d’identifier les questions en litige, puis de délimiter sa compétence. 
[11] L’Arbitre a intégralement rempli sa mission arbitrale en l’espèce, en ce qu’il décide de tout le différend soumis, ne laissant rien en plan, ni en suspens qui pourrait laisser croire que sa mission n’a été exécutée que partiellement et qu’elle demeure à compléter éventuellement. 
[12] Ayant lu cette sentence, le Tribunal estime que l’Arbitre a rendu une sentence conforme à la mission arbitrale qui lui a été confiée par les parties et qui respecte les limites juridictionnelles que l’Arbitre a préalablement établies en tenant compte des réserves exprimées par SMSA sur sa compétence dans la convention d’arbitrage conclue le 11 juillet 2022. 
[13] L’Arbitre analyse l’entièreté les faits et documents qui lui ont été présentés et pertinents à la solution du différend qu’il a été requis de trancher, pour conclure à l’existence d’un défaut de la part de SMSA aux termes de l’entente liant les parties et de la possibilité en résultant pour SEPAQ d’initier une demande en résiliation selon la procédure prévue à cette entente. 
[14] Il indique que SMSA peut alors enclencher le processus de résiliation de l’entente liant les parties, sans plus. Il ne prononce pas sur la légalité de ce processus ni sur la résiliation recherchée. 
[15] Le législateur ne peut avoir voulu limiter le recours à l’homologation aux seules sentences arbitrales qui condamnent une partie à exécuter une prestation particulière qui est sujette à l’exécution forcée. 
[16] Au contraire, particulièrement depuis l’entrée en vigueur 1er janvier 2016 du nouveau Code de procédure civile, le législateur exprime clairement sa volonté d’élargir l’accès des justiciables à une justice de qualité et empreinte de célérité, notamment en encourageant le recours à des mécanismes privés de prévention et de solution des différends[3] et en énonçant explicitement qu’il entre dans la mission des tribunaux judiciaires de favoriser la conciliation des parties[4]
[17] Or, ces deux avenues qui visent la prévention ou le règlement de différends de toute nature, aboutissent, dans une large proportion, à des ententes ou des sentences arbitrales que les parties vont généralement souhaiter faire homologuer par le Tribunal pour plusieurs motifs autres que simplement celui de pouvoir recourir à l’exécution forcée de cette entente ou sentence arbitrale, comme celui de pouvoir publier ce jugement auprès d’un registre public ou pour bénéficier de la prescription extinctive de 10 ans[5]
[18] Les différends de nature déclaratoire sont d’ailleurs légion devant la Cour et à ce sujet, pensons simplement à ceux portant sur la validité d’un contrat ou d’un testament, ou encore sur l’existence ou la reconnaissance de droits personnels, réels ou extrapatrimoniaux. 
[19] Ainsi, le Tribunal estime que le législateur ne peut, en toute logique et cohérence, vouloir exclure de la procédure en homologation les ententes ou les sentences solutionnant de tels différends.
Suivi

Le 3 juin dernier la Cour d'appel a accordé la permission d'en appeler ce jugement (voir Station Mont-Ste-Anne inc. c. Société des établissements de plein-air du Québec, 2024 QCCA 762), de sorte qu'elle se penchera sur cette question intéressante.

Référence : [2024] ABD 10

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